Évaluer autrement, Pédagogie

L’évaluation mixte : partager la responsabilité évaluative lors d’une même activité pour favoriser l’engagement des étudiants

Marie-Ève Robillard, Professeure clinicienne au département des sciences de la santé

Avez-vous déjà pensé à utiliser différentes stratégies d’évaluation dans une même activité? Pas moi, jusqu’à ce que certaines circonstances m’y amènent.

J’enseigne en kinésiologie. Mes cours sont principalement axés sur le développement de compétences cliniques, que les étudiants doivent acquérir avant d’être en contact avec de réels clients.

Dans l’un de ces cours, où l’enseignement d’exercices physiques à un client est initié, je me suis demandé quelles stratégies d’évaluation pouvaient favoriser l’engagement soutenu des étudiants afin d’obtenir, en seulement quelques séances en gymnase (laboratoires), une progression continue des compétences cibles. Diverses méthodes en pédagogie active ont également été sélectionnées, mais je me concentrerai ici sur l’évaluation.

Ma première idée fut assez traditionnelle, soit d’attribuer une note (5 %) à chaque laboratoire. En bref, les étudiants devaient étudier 2 à 3 exercices avant chaque séance et, après un temps de pratique en gymnase, j’évaluais leur enseignement de manière sommative à l’aide d’une grille d’évaluation à échelle descriptive. Des rétroactions leur étaient également données. Ainsi, les étudiants, motivés par la note, s’engageraient dans leur processus d’apprentissage, non?

  Grille d’évaluation à échelle descriptive, créée par Marie-Eve Robillard, en collaboration avec Marie-Christine Dion

Après avoir utilisé cette stratégie pendant une première session, la progression des étudiants était très variable. Il faut dire que leurs profils différaient grandement. Certains n’avaient aucune expérience en entraînement ou en « coaching » et d’autres, pouvaient avoir été athlètes, entraîneurs d’une équipe sportive ou entraîneurs dans une salle d’entraînement depuis quelques années. Plusieurs, inexpérimentés, semblaient plus engagés et progressaient rapidement. D’autres, expérimentés, semblaient s’asseoir sur leurs bagages antérieurs et ne s’amélioraient pratiquement pas, malgré mes rétroactions. Il fallait donc repenser ma stratégie, pour que tous progressent.

Entre-temps, un contexte particulier s’est installé à l’automne 2020. La pandémie limiterait les contacts sociaux. De plus, étant donné sa nature pratique, ce cours serait le seul qui se réaliserait en présentiel pour cette cohorte d’étudiants de première année en kinésiologie.

J’ai donc profité de ces contraintes, tel un défi, pour réfléchir à une stratégie d’évaluation différente. Ma stratégie devait profiter des profils variés des étudiants, dont ceux plus expérimentés ainsi que tenir compte du faible nombre de séances en présentiel, tout en stimulant l’engagement personnel et collectif. J’avais également le souci d’aider ces « premières années » à créer des liens entre eux, pour favoriser la persévérance scolaire dans ce contexte pandémique.

Après réflexion, assistée de lectures sur le sujet et avec les conseils d’Alexandra Hébert, conseillère pédagogique, j’ai opté pour une stratégie d’évaluation mixte. La voici, expliquée ici-bas. Le présent est utilisé pour simplifier la lecture.

Stratégie d’évaluation mixte, créée par Marie-Eve Robillard

Étape 1 : Après l’enseignement d’un exercice à un groupe d’étudiants jouant le rôle de « faux clients », une brève évaluation par les pairs est effectuée pour chaque étudiant, de manière formative et basée sur la grille d’évaluation. Les commentaires constructifs sont donnés à l’étudiant après chaque exercice enseigné, soit à 2 ou 3 reprises pendant la séance.


Étape 2 : À la fin de la séance, chaque étudiant effectue une auto-évaluation de ses compétences à l’aide d’une « feuille de route ». Les comportements attendus (indicateurs) pour chaque compétence sont décrits au verso et une légende est indiquée pour faciliter l’auto-évaluation. L’évaluation est progressive, avec davantage de compétences à évaluer en fin de session qu’au début.

 Feuille de route, créée par Marie-Ève Robillard, en collaboration avec Alexandra Hébert
Liste des comportements attendus (indicateurs), créée par Marie-Ève Robillard

Étape 3 : Les étudiants sont rassemblés sur un forum en ligne (sur Moodle), en petites équipes de 3 ou 4. Chaque étudiant est jumelé à un pair dans son équipe virtuelle.

Les équipes sont créées au préalable, de manière à ce qu’aucun étudiant n’ait assisté à l’enseignement de son pair jumelé. Les équipes restent les mêmes pendant la session, mais le jumelage diffère après chaque laboratoire, afin de favoriser la diversité des commentaires.

Étape 4 : À l’aide de sa « feuille de route », l’étudiant effectue une réflexionindividuelle sur son forum. Il effectue une réflexion critique de ses compétences lors du laboratoire, puis présente une force, ou une amélioration effectuée lors de la séance en gymnase; un défi ou une composante à améliorer ainsi qu’un moyen concret de l’améliorer d’ici la prochaine séance. Des exemples leur sont donnés pour aider la réflexion.

Étape 5 : Le pair, avec qui l’étudiant est jumelé, doit ensuite commenter, de manière constructive, la réflexion de son collègue. Ce commentaire doit être en lien avec la matière ou les compétences cibles du cours. Tous les étudiants sont jumelés.

Étape 6 : Après chaque laboratoire, l’enseignant évalue, de manière sommative, la qualité de la réflexion de l’étudiant et du commentaire effectué au pair jumelé. Au dernier laboratoire, une évaluation formative des compétences d’enseignement d’exercices est effectuée par l’enseignant.

À la fin de la session, une simulation formative de l’examen pratique est organisée. La semaine suivante, l’enseignant évalue les compétences de l’étudiant, de manière sommative, lors de l’examen pratique final.

En résumé, pour une même activité, l’étudiant bénéficie d’un.e :

  • évaluation formative par les pairs (point de vue de clients)
  • auto-évaluation (feuille de route et réflexion);
  • commentaire constructif et formatif d’un pair (point de vue externe);
  • évaluation sommative de sa réflexion par l’enseignant;
  • évaluation formative de ses compétences par l’enseignant (dernière séance).

Parmi les avantages de cette stratégie mixte, j’ai remarqué :

  • une progression plus rapide des compétences des étudiants;
  • une facilitation du suivi individuel ainsi que des défis communs;
  • un meilleur engagement général des étudiants (questions, réflexions);
  • davantage d’empathie envers leurs pairs et une volonté de les aider (partage de trucs, conseils, encouragements).

De plus, plusieurs étudiants ont mentionné avoir gagné de la confiance, en reconnaissant leurs forces, mais aussi en voyant leurs pairs comme modèles et en ayant leurs suggestions lors des évaluations par les pairs et sur leur forum. D’ailleurs, plusieurs ont mentionné, dans le contexte particulier de l’automne 2020, être reconnaissants d’avoir eu de nombreux contacts sociaux dans ce cours.

Et si c’était à refaire? En fait, je reprends cette stratégie dans quelques jours! Cette fois, j’ajouterai un volet vidéo. Une activité d’enseignement sera ainsi filmée pour chaque étudiant lors de l’avant-dernier laboratoire. Cette vidéo servira à alimenter la dernière auto-évaluation ainsi que le commentaire du pair jumelé, qui n’a pas assisté à l’enseignement en direct.

Ce travail vous semble considérable ou trop long à mettre en place? En fait, lorsque les grilles d’évaluation et la feuille de route sont créées (avec les indicateurs), il ne reste que l’organisation (équipes, jumelage, forum, etc.) Et l’année suivante, il suffit de changer les noms!