Je suis prof et

Le bonhomme animé de l’UQAC

Hervé Saint-Louis, professeur au Département des arts, des lettres et du langage

Un peu comme les héros des bandes dessinées, j’ai deux identités. Vous me connaissez sous le nom d’Hervé Saint-Louis, professeur en médias émergents dans le nouveau programme de communication de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Mais pour la plupart des gens sur les médias sociaux et sur le web, je suis connu sous l’appellation de Toon Doctor, le créateur de la bédé Johnny Bullet. Si je ne dessinais pas une bédé sur un pilote automobile des années 1970s, je ne crois pas que je serais un prof universitaire aujourd’hui.

Copyright: Hervé St-Louis (dessin) et Aleksandar Bozic (couleur)

Toon Doctor, c’est le nom du studio d’animation que j’ai fondé il y a presque 20 ans. À l’époque, j’avais une petite boîte de production dans le Vieux-Montréal et j’y produisais des dessins animés pour des clients comme les Caisses populaires Desjardins. Le dessin animé et la bande dessinée ont influencé mon cheminement académique et professionnel et continuent d’orienter ma recherche et mon enseignement depuis mon arrivée à l’UQAC en décembre 2018.

C’est à cause du dessin que j’ai tant d’intérêt pour les médias émergents. Ils ont diminué la prépondérance de l’écrit dans l’économie de l’information. Une grande partie des contenus qui nous captivent sur le web et les plateformes numériques proviennent du monde visuel tels que la vidéo, le jeu et l’image. Nous accédons à ces contenus par des modalités d’interaction, donc, par la vue, l’ouïe, l’oral et le toucher.

Ma recherche est dans le domaine de l’interaction humain-machine et dans le droit de l’information et de la communication. Donc j’étudie comment nous interagissons avec les nouvelles technologies et les conséquences de l’utilisation de ces dernières sur nos sociétés et nos droits. Par exemple, une théorie importante en communication est la remédiation des contenus. Cette théorie reprend une idée importante du chercheur en communication Marshall McLuhan (1994) qui disait : « le médium, c’est le message ». Pour McLuhan, les vieux médias tels que la bédé deviennent les nouveaux contenus des médias les plus récents.

Mark Levy (copyright)

Ma bédé en ligne Johnny Bullet, illustre ce fait. La bédé est un vieux média qui a pris son envol au 19e siècle dans les journaux et ensuite dans des fascicules dédiés durant la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, la bédé se diffuse souvent gratuitement sur le web ou par support électronique comme des tablettes et des applications mobiles.

Je suis accro de la bande dessinée et du dessin animé. Je pratiquais ces deux formes d’art avant mes cinq ans. Tout au long de mes études, je dessinais de la bédé et du dessin animé. Arrivé au doctorat, mes deux premières années, j’ai cru bon de sacrifier le dessin pour me mettre à fond dans mes études. C’est un peu difficile à expliquer, mais ne pas dessiner me donnait mal au ventre, comme s’il y avait un vide en moi. De plus, ma concentration et mon travail scolaire n’étaient pas aussi affutés quand je ne dessinais pas.

Puisque le dessin animé est un peu trop complexe quand on fait son doctorat, avec Johnny Bullet, j’ai favorisé un nouveau projet de bédé inspiré de l’acteur américain Steve McQueen. Si vous le demandez à ma directrice et à mon comité de thèse, la qualité de mes études doctorales est devenue impeccable et excellente dès que je me suis remis au dessin. Chaque samedi, je m’enfermais pour dessiner une page de la bande dessinée de Johnny Bullet que je partageais ensuite sur le site web de bédé ComicBookBin.com à des lecteurs francophones et anglophones.

ComicBookBin, c’est le plus grand site sur la bande dessinée au Canada avec près de 29 000 articles; je l’ai fondé en 2002. J’ai tout appris des médias émergents grâce à ce site. Les premières applications mobiles que j’ai faites sur iOS, Android, et webOS en 2010 permettaient aux utilisateurs de lire les articles du site, d’accéder à des foires de bédés et de les ajouter dans leurs calendriers mobiles et de trouver des librairies spécialisées en bédé partout dans le monde.

Copyright: Hervé St-Louis (dessin) et Aleksandar Bozic (couleur)

Avec Johnny Bullet, j’ai appris à diffuser du contenu créatif par l’entremise des médias émergents. Se faire voir et remarquer est très difficile sur le web et les autres plateformes. Protéger sa propriété intellectuelle est aussi un défi majeur. Toute cette expérience se retrouve dans mes cours à l’UQAC. Quand je parle de marque de commerce et de piratage dans mes cours, ou de promotion virale, c’est parce que j’ai dû le faire avec Johnny Bullet ! Ce n’est pas que de la théorie pour moi.

D’ailleurs, avec Johnny Bullet, dès le départ, j’ai décidé de tout dessiner de façon numérique. Je dessine Johnny Bullet à la main sur un écran tactile de 21 pouces dans un logiciel d’animation. J’ai développé une architecture de l’information optimale pour pouvoir sortir chaque planche en français et en anglais le plus rapidement. Présentement, car le temps me manque comme nouveau prof à l’UQAC, je travaille avec un graphiste britannique pour refaire les phylactères et le lettrage des textes, et des coloristes outre-mer pour colorier le tout.

La bédé en ligne que je partage gratuitement est en noir et blanc. Cependant, une version en couleur est en préparation pour la publication d’albums imprimés. Plus de la moitié des 186 planches du premier tome ont déjà été peintes avec de l’aquarelle numérique me permettant de lancer les albums en français et en anglais dans un avenir proche. Bien que je ressente le besoin de dessiner, je n’ai pas encore su comment combiner cela avec ma vie de nouveau prof. Ce n’est pas facile.

Copyright: Hervé St-Louis (dessin) et Aleksandar Bozic (couleur)

Mais j’ai beaucoup de plaisir à avoir créé Johnny Bullet. Cela me permet d’explorer le monde de la course automobile, et d’explorer des situations économiques et sociales telles que la crise énergétique des années 1970s. Je reste un chercheur : je ne peux pas dessiner le monde des muscle cars américain sans poser des questions sur une sous-culture qui a vécu un choc important dans les années soixante-dix !

Johnny Bullet se retrouve aussi dans ma thèse de doctorat. Au lieu d’inclure un dicton, un poème, ou les paroles d’une chanson, en dédicace, j’ai dessiné une planche inédite de Johnny Bullet qui explique figurativement le sujet de ma thèse. Pour lire la version bédé en ligne de Johnny Bullet, rendez-vous au comicbookbin.com/johnny.

Copyright: Hervé St-Louis (dessin) et Aleksandar Bozic (couleur)

Merci.