Évaluer autrement, Pédagogie

Évaluation de la contribution individuelle lors de travaux en très grandes équipes

Jocelyn Benoît, Professeur en moteur de jeu à l’École NAD / UQAC

CONTEXTE

Depuis mon arrivée à l’UQAC, j’ai enseigné plusieurs cours différents. La majorité de ces cours ont en commun qu’ils nécessitent la création et la production d’un jeu vidéo afin que l’étudiant puisse mettre en pratique, dans un contexte simulé de production, les compétences développées et ainsi lui permettre d’atteindre les objectifs d’apprentissage.

La création d’un jeu vidéo est une opération complexe; elle implique la collaboration de plusieurs dizaines, voire centaines, de personnes qui possèdent des compétences variées et spécialisées (programmation, design de jeu, animation de personnage, modélisation, etc.). Dans un cadre académique, la simulation d’une production requière donc que les étudiants soient placés à l’intérieur de grandes équipes. Par conséquent, il arrive fréquemment que les étudiants soient placés en équipe de 10, 15 ou 20 afin de réaliser les travaux.

Au fil des années, j’ai constaté différentes difficultés en lien avec l’évaluation de ces travaux. Par exemple, puisque les étudiants réalisent une partie du travail à l’extérieur des cours, il est parfois difficile de savoir concrètement qui a fait quoi et dans quelle mesure. Lorsque j’attribuais une note globale pour le projet, je ressentais souvent de l’insatisfaction de la part des étudiants puisqu’il y avait immanquablement certains individus qui avaient plus contribué au projet que d’autres. Il y avait une certaine forme d’injustice. Et s’il m’était parfois difficile de déterminer la contribution individuelle de chacun, les étudiants étaient toujours très au fait de la situation dans leur équipe.

J’avais donc besoin d’une méthode d’évaluation mieux adaptée à ce contexte. Je cherchais à mieux juger de la contribution individuelle de chaque étudiant. De plus, je voulais aussi une méthode qui allait valoriser le travail des individus plus engagés et qui priorisent le projet collectif. Aussi, je souhaitais mieux accompagner les étudiants dans le développement de leur savoir-être et savoir-agir. Je voulais donc un outil qui allait me permettre de plus facilement identifier les situations problématiques au sein des équipes et ainsi pouvoir mieux intervenir en offrant un accompagnement individualisé.

PONDÉRATION DU RÉSULTAT COLLECTIF PAR L’ÉVALUATION DES PAIRS

Depuis quelques années, j’ai expérimenté avec l’approche de la pondération du résultat collectif par l’évaluation des pairs. Pour chaque projet à remettre, une portion de l’évaluation est individuelle à chaque étudiant et une autre portion évalue des éléments collectifs à toute l’équipe (p.ex. : direction artistique, expérience usager, etc.).  Plutôt que de donner la même note collective à tous les étudiants, je la pondère plutôt en utilisant les résultats de l’évaluation des pairs (voir figure 1). Chaque étudiant obtient donc une note différente.

Lors de la présentation initiale du devis du projet, j’indique aux étudiants qu’il y aura une évaluation des pairs. J’explique clairement les critères qui seront utilisés (p.ex. : initiative, autonomie, sens des responsabilités, communication, esprit d’équipe, etc.) pour évaluer leurs collègues et pour s’autoévaluer. De plus, je fourni également un gabarit (fichier Microsoft Word) spécifique à chaque équipe que les étudiants devront utiliser afin de faciliter la saisie des données.

Après la remise du travail, je collige l’information de l’évaluation des pairs de chaque étudiant dans un fichier Excel (section « Saisie de données » de la figure ci-après) et j’indique le résultat global de l’évaluation collective (les deux cellules en vert dans la figure ci-après).

Une fois ces informations entrées, le fichier de compilation calcule une note individuelle pour chaque étudiant en fonction de la note globale (T), de l’évaluation personnelle (EP) de chaque étudiant et de l’évaluation moyenne de l’équipe (EM). L’évaluation personnelle d’un étudiant est la moyenne des résultats de l’évaluation des pairs (sans tenir compte de son autoévaluation) alors que l’évaluation moyenne est la moyenne de toutes les évaluations personnelles des membres de l’équipe. Dans l’exemple ci-après, on remarque que pour une note globale de 80%, les notes individuelles se situent entre 61% et 94%.

Vous trouverez un exemple du fichier de compilation ici et un exemple de grille à remplir par les étudiants ici.

La figure ci-après présente certaines formules utilisées :

RÉFLEXIONS

J’utilise cette approche depuis un peu plus de 7 ans maintenant. Voici quelques-unes de mes observations.

Points positifs :

  • Les notes individuelles attribuées pour la portion collective du projet sont plus représentatives de l’effort fourni par chaque étudiant.
  • Les étudiants sont plus satisfaits : la note individuelle représente mieux leur propre perception de la contribution individuelle de leurs coéquipiers.
  • Puisque je répète cette évaluation plusieurs fois dans un même trimestre, cette méthode incite les étudiants à prioriser le projet collectif.
  • Cet outil me permet de rapidement détecter les situations problématiques dans les équipes (p.ex. : Vincent Damphousse dans la grille ci-après) et d’intervenir afin d’améliorer la situation.
  • Cet outil facilite mes interventions auprès de certains étudiants (p.ex. : Brian Bellows). Lorsqu’un étudiant surévalue son savoir-être et ses habiletés au travail en équipe, il peut être difficile de l’accompagner pour qu’il s’améliore. En présentant l’évaluation des pairs à l’étudiant, il est plus facile de le placer dans un mode d’introspection et réflexion.
  • À l’inverse, l’outil me permet également de cibler les étudiants qui se sous-estiment (p.ex. Gilbert Dionne). Je peux ainsi accompagner l’étudiant à prendre conscience de ces qualités afin qu’il puisse miser sur celles-ci.
  • Dans certains cas, une faible évaluation par les pairs peut être le signe d’une détresse psychologique chez certains étudiants. Cet outil m’a permis de détecter ces situations, de regarder l’étudiant et de le référer vers les services d’aide de l’UQAC.

 Considérations :

  • Il est important de fournir des gabarits pour que les étudiants puissent indiquées leurs notes, sinon la saisie de données peut être très compliquée (des étudiants oublient des coéquipiers dans leur tableau, l’ordre n’est pas le même d’un étudiant à l’autre, etc.).
  • Cette méthode est chronophage. Elle implique de créer des gabarits pour chacune des équipes de chaque projet, de compiler les résultats, etc. Bien que les avantages justifient l’utilisation de cette approche, il ne faut pas sous-estimer le temps requis pour la mettre en place.
  • Il ne s’agit pas d’une solution parfaite pour autant. Je fais preuve de jugement et me laisse le droit de majorer le résultat d’un étudiant au besoin. Je l’explicite d’ailleurs aux étudiants lors de la présentation du devis.

CONCLUSION

Lorsque les étudiants font des travaux en grandes équipes, la pondération du résultat global de la portion collective par l’évaluation des pairs permet d’attribuer une note plus équitable et représentative à chacun des coéquipiers par rapport à leur contribution individuelle au projet. Cette approche d’évaluation est aussi est bon outil pour offrir un meilleur accompagnement individualisé des étudiants pour le savoir-être.