Faire de la recherche à la retraite… est-ce vraiment possible ?

Daniel Audet (futur retraité) et Pierre Cousineau (retraité), professeurs au Département des sciences appliquées

La retraite… Tôt ou tard, il nous faut face à cette réalité que tous doivent envisager, mais que plusieurs préfèrent ignorer, jusqu’à ce que la date fatidique soit suffisamment rapprochée pour qu’elle s’immisce dans nos pensées de tous les jours. Arrêter des activités habituelles pose déjà un défi. Lorsque celles-ci nous ont motivé toute notre carrière, le défi devient important. Pour plusieurs d’entre nous, arrêter de faire de la recherche fait partie de cette dernière catégorie. Ayant été confrontés à cette réalité, et ayant été sollicités pour décrire nos expériences personnelles, nous vous partageons certaines observations et commentaires qui pourront peut-être vous être utiles dans votre propre cheminement.

Dans les quelques années qui précèdent la retraite, on se pose évidemment plusieurs questions. Certaines organisations offrent des cours de préparation à la retraite (l’UQAC en a déjà offert, mais elle ne le fait plus pour des raisons que l’on ignore). Comme tous le disent, le mieux est de bien la planifier. Ce que nous avons constaté est qu’il faut surtout s’assurer d’une transition harmonieuse vers un autre mode de vie. À l’approche de la retraite, on se fait évidemment poser de nombreuses fois la fameuse question « à quand la retraite ? ». Une fois à la retraite, on est bombardé de la non moins fameuse question « comment va la retraite ? ». Rarement se fait-on poser la question « et ta recherche? ». Et pourtant, pour plusieurs, il s’agit là d’une de nos préoccupations importantes.

Faire de la recherche à la retraite?

Mais pour quelle raison au juste est-elle une préoccupation importante ? Au premier abord, il semble que la recherche soit un fardeau dont on est facilement capable de se départir. En effet, un.e professeur.e dynamique en recherche travaille souvent entre 50 et 70 heures par semaine. Et, il y a peu de reconnaissance pour les heures supplémentaires dans la tâche comptabilisée reconnue par l’institution. Ce n’est donc certainement pas l’aspect financier qui est la principale source de motivation. Seule la passion peut pousser quelqu’un de sensé à faire de la recherche pendant toute une carrière. On recherche la satisfaction de pouvoir dire « j’ai trouvé » et la gratitude d’être reconnu.e, même si ce n’est que par un cercle restreint d’autres chercheur.es. Il y a évidemment un peu d’ego dans tout cela, mais lorsqu’on arrive à voir plus loin que ces satisfactions, on constate que notre motivation profonde est de chercher à contribuer concrètement à la société. Or, cette passion ne disparait pas soudainement lorsqu’on part à la retraite.

Alors que faire si on veut poursuivre ? Selon notre expérience, cela dépend du domaine. Dans certains cas, seulement un ordinateur et un bureau peuvent suffire. À l’autre extrême, il faut absolument disposer d’équipements spécialisés, de locaux particuliers et d’un personnel technique. Dans certains domaines, des déplacements sont requis pour mesurer, échantillonner ou observer. Pour plusieurs, il est donc difficile d’envisager faire de la recherche si un support matériel et financier n’est pas disponible. Cependant, pour tout le monde, un accès à une bibliothèque de premier ordre (comme celle que possède l’UQAC) est primordial.

Ayant été témoin du départ de plusieurs de nos collègues au cours des 20 dernières années, nous avons observé toute sorte de situations qui nous ont permis d’identifier trois « catégories » de départ à la retraite. On a noté que, dans la plupart des cas, chacune de ces catégories est le résultat des décisions prises par les personnes retraitées avant leur départ.

Quel type de retraité.e serez-vous?

La première catégorie observée regroupe les professeur.es qui n’ont pas besoin de ressources importantes. La poursuite de leurs travaux et de leurs collaborations avec des collègues dépend simplement de leur propre volonté et de celles de leurs collègues.

La seconde catégorie regroupe les professeur.es dont les travaux requéraient des ressources importantes et qui ne souhaitent pas laisser de traces de leur passage. Leur laboratoire est alors démonté et les espaces qu’ils occupaient sont affectés à d’autres fonctions. Dans certains cas, tout se fait extrêmement rapidement. Outre les considérations physiques, les départs à la retraite ont aussi des impacts humains. En effet, souvent, le personnel de recherche doit se trouver un nouvel emploi. Le nombre d’étudiant.es encadré.es tend également à diminuer à l’approche de la retraite des chercheurs et chercheuses. En effet, ces derniers tendent à ne plus encadrer de nouveaux étudiant.es à l’approche de leur départ. Ainsi, au moment de la retraite, peu d’entre eux ont encore besoin d’encadrement étroit, la plupart étant souvent en rédaction.

Dans la troisième catégorie, on retrouve les chercheurs et chercheuses qui désirent léguer un héritage. Pour ce faire, ils et elles préparent une relève ou un environnement dans lequel ils pourront continuer de collaborer avec des collègues. Préparer une relève est un exercice difficile en général et particulièrement à l’UQAC, compte tenu des ressources dont elle dispose. Les difficultés deviennent encore plus importantes lorsque les orientations favorisées par l’institution ne correspondent pas à celles du chercheur ou de la chercheuse. Lorsque la relève a été bien développée, certains groupes de recherche arrivent à perdurer dans le temps. Fait intéressant, nos observations nous ont permis de constater que la pérennité de ces groupes tient plus de la planification des chercheurs et chercheuses que des initiatives de l’institution. Les groupes qui perdurent sont ceux pour lesquels les chercheurs et chercheuses qui les dirigeaient ont le mieux planifié une transition harmonieuse. L’appui du milieu socio-économique régional facilite généralement ce genre de transition. Mais elle n’est possible qu’au prix de grands efforts de la part des chercheurs et chercheuses. La volonté de l’institution est généralement un facteur ayant moins d’impact.

Plusieurs retraité.es ont ainsi pu demeurer actifs en recherche pendant un certain nombre d’années (un de nos collègues a même poursuivi ses activités pendant plus de 10 ans !) Ces retraité.es se sont principalement impliqués dans le démarrage de nouveaux projets de recherche et dans le support de nouveaux étudiant.es qui étaient dirigé.es par des membres plus jeunes du groupe. Dans ces cas, la poursuite de l’encadrement des étudiant.es qui n‘avaient pas terminé leurs études en fut facilitée. Cependant, tôt ou tard, les réalités de la vie s’imposent et font que les retraités doivent réduire leurs activités et, ultimement, les interrompre. De plus, les personnes retraitées doivent composer avec le fait que les décisions appartiennent maintenant à ceux et celles qui sont toujours en place. Tout naturellement, une certaine distance se développe. Ceux et celles qui désirent poursuivre doivent donc bien définir et accepter leur rôle, de même que prouver leur utilité.

Que le départ appartienne à l’une ou l’autre des trois catégories mentionnées précédemment, il demeure que, pour plusieurs, la passion ne disparait généralement pas facilement. La période de « sevrage » peut être relativement longue… Heureusement, grâce à Internet, il est possible de conserver un accès aux connaissances les plus à jour. Disposer d’une bibliothèque de premier ordre et avoir les autorisations nécessaires pour pouvoir consulter des sources d’information spécialisées deviennent donc essentiels pour combler ce « manque ».

Professeur émérite ou professeur associé… ou pas?

Poursuivre des travaux de recherche et encadrer des étudiant.es est donc toujours possible à la retraite. Cependant, il faut savoir que l’institution limite certaines activités à des professeurs qui possèdent un « statut » particulier. Il est donc important d’identifier le statut qui convient le mieux à votre situation. Selon notre convention collective, deux choix sont possibles.

Le plus prestigieux est le titre de « professeur.e émérite ». Grâce à ce statut, le professeur peut agir en tant que co-directeur de mémoire ou de thèse. Il peut également faire des demandes de subventions et se voir octroyer des commodités matérielles. Historiquement, ce titre prestigieux était réservé à de rares chercheurs et chercheuses ayant eu un parcours exceptionnel. Dans les universités « traditionnelles », un dossier était préparé par le département et ensuite soumis à la faculté. Cette dernière recommandait l’octroi du titre à la direction de l’institution. À l’UQAC, ce titre est régi par la convention collective. Ainsi, la responsabilité de préparer le dossier incombe uniquement à chaque professeur.e. Le travail requis pour monter ce dossier est comparable à celui d’une demande de promotion. Ce titre est, par conséquent, plus facile à obtenir que dans institutions « traditionnelles ». Il est d’ailleurs dommage qu’il en soit ainsi puisque cela en diminue la valeur. Cette situation pourrait facilement être corrigée. Nous avons été témoins de cas où certains chercheurs et chercheuses de premier plan, sur le point de prendre leur retraite, ont refusé de déposer un dossier justement parce qu’ils estimaient que ce n’était pas à eux de faire ces démarches. Pour pallier cette anomalie, certains ont pris sur eux la préparation de demandes de professeur émérite pour des collègues.

Le second titre est celui de « professeur.e associé.e ». Ce titre permet d’agir en tant que co-directeur de mémoire ou de thèse et de faire des demandes de subvention. Contrairement au titre de professeur.e émérite qui est un titre accordé à vie, celui de professeur.e associé.e n’est valide que pour 3 ans et doit donc être renouvelé régulièrement.

Si vous ne souhaitez pas encadrer des étudiant.es de cycles supérieurs, il n’est pas nécessaire de détenir un statut particulier pour réaliser des travaux en collaboration avec d’autres chercheurs et chercheuses.

La poursuite de sa passion peut également prendre d’autres formes. Par exemple, certain.es s’impliquent dans des activités connexes comme, par exemple, représentant d’organismes subventionnaires, coéditeur de revues scientifiques, etc.

La retraite : immédiate ou progressive?

Finalement, il est bon de réfléchir sur la manière avec laquelle on souhaite s’acquitter de notre tâche durant les années précédant la date de la retraite. Il existe, en effet, deux possibilités selon notre convention collective. Plusieurs quittent leur poste à une date convenue avec l’institution tout en bénéficiant d’un montant forfaitaire défini dans la convention collective (comme la majorité des employé.es de l’UQAC). Un choix moins fréquent consiste à prendre une retraite progressive dans laquelle il y a réduction progressive de la tâche d’enseignement sans réduction de rémunération (ce qui n’est généralement pas le cas dans d’autres institutions). Ceux et celles qui souhaitent se prévaloir de cette option ne pourront pas bénéficier du montant forfaitaire.

Il est à noter que seule une retraite progressive permet au professeur.e de devenir un.e chargé.e de cours immédiatement après la prise de sa retraite. Pour le département concerné, le poste libéré devient disponible dès l’année du départ à la retraite et il peut être comblé rapidement. Dans le cas où la personne retraitée s’est prévalue d’un montant forfaitaire, le poste ne peut être pourvu qu’après qu’une année se soit écoulée après le départ de la personne qui l’occupait. De plus, si cette personne désirait devenir, par la suite, chargé.e de cours, des considérations fiscales pourraient venir contrecarrer ses plans. Cependant, il est possible, mais seulement dans des situations très particulières, que ces difficultés puissent être évitées.

En conclusion, quels que soient nos choix, la vie nous rappelle constamment que notre temps est limité et qu’il faut apprendre à changer nos priorités et s’adapter. Si vous comptez poursuivre vos activités de recherche, il vous faut savoir que la plupart des personnes que nous avons côtoyées ont progressivement réduit leurs activités professionnelles au cours d’une période n’excédant pas 5 années. Heureusement, les possibilités qui s’offrent à nous permettent de le faire à un rythme qui nous convient.

La Correspondance

Revenir en haut de page