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Commun le CV ? Pas tant que ça !

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Christiane Bergeron-Leclerc, professeure au Département des sciences humaines et sociales

Il y a un peu plus de vingt ans naissait le Curriculum Vitæ Commun canadien (CVC). Depuis, cette plateforme est gérée et utilisée par les trois conseils de recherche du Canada, et plus de 28 organisations gouvernementales et scientifiques. Depuis sa création en 2002, le CVC fait l’objet de mises à jour périodiques et a connu une refonte majeure en 2012. Au moment d’écrire ces lignes, il n’est toutefois pas possible de savoir, à travers les informations disponibles sur le site internet du CVC si d’autres refontes sont envisagées.

La plateforme a été créée dans le but de permettre aux chercheur.es de générer une multitude de curriculum vitæ et ce, à partir d’une saisie de données unique et centralisée à un seul endroit. Je me souviens, alors que j’étais doctorante, de mon premier contact, que je qualifierais de « peu convivial », avec le CVC. Ayant toutefois l’espoir d’un gain de temps éventuel à l’avenir, je me suis donc mise à l’ouvrage. Et c’est ainsi que je mets régulièrement à jour, depuis 21 ans, mon CVC. Au terme de ces années d’utilisation, ai-je gagné du temps ? Sans doute, mais plus les années avancent, plus les formats de CV requis par les organismes subventionnaires se diversifient. Bien que la majorité ont comme base commune le CVC, certains concours s’en détachent et innovent avec d’autres formats, je pense notamment au programme Audace, pour ne nommer que celui-là.

Au cours des deux dernières années, j’ai personnellement eu à produire une dizaine de formats de CV différents, dont la majorité prenaient appui sur le CVC. Curieuse de connaître la réalité de mes collègues, j’ai effectué, du 14 au 15 mars 2023, un sondage éclair sur la page Facebook des professeur.es de l’UQAC : « Combien de versions de CV communs avez-vous eu à produire au cours des deux dernières années? ». Parmi les vingt collègues ayant répondu à la question, 65 % ont déclaré avoir produit plus de 6 formats différents, 20 % en ont créé entre 4 et 5, 10 % entre 2 et 3, tandis que 10 % avaient eu à créer un seul format. Évidemment, ces statistiques sont à interpréter avec un grain de sel et ne doivent pas être généralisées outre mesure. Ceci dit, elles font écho à des discussions de corridor à propos du temps passé à « mettre à jour son CV » : qu’il s’agisse de son temps personnel ou du temps requis par les assistant.es ou professionnel.les de nos équipes respectives.

Mettre à jour son CVC demande certainement du temps, mais ce sont surtout les annexes, permettant de détailler nos contributions spécifiques, qui sont chronophages : chaque organisme demandeur a en effet des normes différentes, tant en ce qui concerne la mise en page que le contenu. Cet exercice est pour le moins exigeant et ce, tant pour les personnes minutieuses que celles qui le sont moins car les demandes sont de toutes sortes ! Ma préférée : mettre un astérisque pour identifier les étudiant.es boursier.es qui ont contribué à une publication !

Que reste-t-il de commun au CCV dans le contexte de la multiplication des annexes ? De mon expérience… il ne reste que la section nominative, celle liée au parcours scolaire et professionnel, de même que celle dédiée aux octrois reçus. Je continue toutefois de rêver d’une plateforme, simple, facile d’utilisation et collaborative, qui serait vraiment utilisée par tous les organismes subventionnaires ! Si par exemple, l’ajout d’un nouvel octroi dans le CVC menait à une mise à jour immédiate du CV des chercheur.es impliqué.es, ceci permettrait de gagner du temps ! Dans la perspective du gain de temps, je lance également l’idée que les évaluations statutaires prennent appui sur le CVC plutôt que sa retransposition dans un rapport. Dans l’attente de solutions plus efficaces, je me console en me disant que le temps dédié à la mise à jour du CVC est rémunéré, même si mon équipe et moi aimerions le dédier à autre chose. En général, le temps dédié à rédiger un CV se fait de manière bénévole, à titre de candidat.e pour l’obtention d’un emploi.

Je ne suis évidemment pas la seule à rêver d’un outil qui nous faciliterait la vie ! En 2016, un article paru dans Affaires universitaires à propos de la refonte du CVC mettait en évidence l’instabilité, la lourdeur et la désuétude de la plateforme. On y suggérait notamment la refonte de la plateforme ou son remplacement par un outil d’importation de données qui pourrait être facilité par l’identifiant numérique d’objet (DOI). Pour ne donner qu’un exemple illustrant la désuétude, alors que les numéros de pages des articles diffusés en format électronique sont le plus souvent inexistants, le système du CVC continue d’exiger que nous en insérions. Je serais curieuse de voir ce que les collègues indiquent dans cette rubrique obligatoire ! Je serais également curieuse de voir ce que mes collègues écrivent lorsqu’il est question de quantifier leur contribution à la rédaction d’une publication : je suis personnellement toujours embêtée vue la nature subjective de la question. Cet idéal de données normalisées parait donc difficile à atteindre selon la nature des questions demandées.

En 2019, plus de 2000 chercheur.es canadien.nes réclamaient l’abandon du CVC dans une lettre ouverte. En plus des critiques évoquées précédemment, un article paru dans Affaires universitaires a mis en évidence que le CVC pouvait accentuer les inégalités entre les chercheur.es. Ainsi, les chercheur.es en début de carrière, ou n’ayant pas un parcours typique, ou évoluant dans le domaine des sciences humaines, ou encore qui n’ont pas d’aide pour la saisie de données, seraient désavantagées par rapport à leurs pairs.

En proposant de rédiger cet article, il y avait cette volonté de susciter la réflexion en vue de mettre en place un outil simplifié et durable : ceci importe, d’autant que l’ampleur de la tâche professorale ne cesse de s’accroitre !