Qui es-tu?

Qui es-tu Laura Iseut Lafrance St-Martin ?

Laura Iseut Lafrance St-Martin

Laura Iseut Lafrance St-Martin, professeure de théorie et pratique de la création de jeux vidéo à l’École NAD/UQAC

Correspondance : Bonjour Laura Iseut !
Laura Iseut : Bonjour Correspondance !

Afin de te connaître un peu, peux-tu commencer par nous présenter brièvement ton parcours universitaire : sur quoi travailles-tu ?
J’ai commencé mon parcours universitaire en ayant une idée très précise en tête : je voulais travailler sur l’œuvre de J.R.R. Tolkien (je savais déjà que je voulais aller aux cycles supérieurs). C’est en effet une personne qui a été fondamentale dans ma construction identitaire et j’étais convaincue d’avoir quelque chose à rajouter à la masse d’encre qui s’est écrit sur lui. J’ai donc commencé par un baccalauréat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Ma première année à l’université a été coupée par la grève étudiante de 2012 (je trahis mon âge…) ! On peut dire qu’il s’agit d’un évènement manquant. J’ai été très impliquée durant toute la durée de la grève, c’est-à-dire de la mi-février à la semaine suivant l’élection du Parti Québécois. Je participais parfois à plusieurs manifestations par jour. Ces moments ont été très formateurs pour moi : j’ai pu faire directement l’expérience des discours sociaux et les luttes sociales.

Quand nous sommes retourné.e.s dans nos cours, j’étais habitée d’une sensation qu’étudier « l’art pour l’art » n’était plus suffisant pour moi. Je voulais étudier l’art d’un point de vue social et son rôle dans la construction des normes communautaires. À la fin de mon baccalauréat, j’ai donc changé (légèrement) mes orientations pour aller au doctorat en sémiologie dans l’optique d’étudier les communautés geeks (construites autour des œuvres des littératures de l’imaginaire comme celle de Tolkien). La vie doctorale étant ce qu’elle est, j’ai finalement fait ma thèse sur les écrits académiques de Tolkien. Je peux donc dire que j’ai tout de même atteint mon objectif initial !

Mis à part mon intérêt marqué pour les mondes imaginaires et la culture geek, je m’intéresse aussi aux mouvements sociaux en ligne et aux enjeux éthiques de l’utilisation de la technologie (notamment de l’IA). Mes recherches actuelles portent principalement sur les comportements toxiques dans les communautés de joueur.se.s de jeux vidéo. On peut donc dire que mes intérêts sont beaucoup plus orientés vers les réalités sociales qu’au début de mon parcours universitaire !

Intéressant ! J’imagine que cela doit être agréable de travailler sur des objets qui nous animent profondément, comme ce semble être le cas pour toi avec Tolkien et les jeux vidéo… Qu’est-ce que tu trouves de plus jouissif dans ton travail ?
La partie de mon travail que j’apprécie le plus est de voir le regard de mes étudiant.e.s quand il.elle.s réalisent les enjeux sociaux et éthiques derrière la matière du cours. C’est comme une petite lumière qui vient mettre un éclairage différent sur des facettes souvent trop habituelles de leur vie ou de leur travail. Il est important pour moi de conscientiser les étudiant.e.s à tous les enjeux qui entourent leur travail !

Laura Iseut Lafrance St-Martin jouant de la vielle

Je comprends ! D’un point de vue plus critique peut-être et avec le recul, est-ce qu’il y a des choses que tu regrettes, ou que tu aurais faites différemment ?
Je ne crois pas qu’il soit très utile d’avoir des regrets. Les expériences que nous vivons, surtout les plus difficiles, les « erreurs » ou les échecs, forment qui nous sommes. Il y a des moments où je n’avais plus beaucoup d’espoir, mais je ne peux pas dire que je regrette. Bien sûr, on ne veut jamais vivre des choses difficiles, mais ces moments sont aussi importants pour notre devenir. Il y a aussi quelque chose de beau là-dedans. « Tout ce que nous avons à décider, c’est quoi faire du temps qui nous est imparti » (et oui, je cite Gandalf).

J’adore ! Bon alors, de façon plus positive, quels sont les hasards ou les chances auxquelles tu dois les plus belles orientations/réalisations dans ton travail?
La rencontre de Maude Bonenfant, ma directrice de thèse à l’UQAM, a été un hasard très heureux dans ma vie. Elle a enseigné le cours de méthodologie que j’ai suivi à ma première session de doctorat et elle a définitivement eu une influence positive sur mon devenir-chercheuse. Elle a changé ma perspective sur l’étude sociale des jeux vidéo et m’a épaulée tout au long de mon parcours. À travers nos nombreuses collaborations, nous sommes aussi devenues amies ! La vie se forme aussi au hasard des rencontres !

C’est précieux en en effet. À présent, tournons-nous vers ta vie en dehors du travail. Je trouve que tes sujets et intérêts de recherche sont peu communs… Qu’est-ce que tu fais d’autre de vraiment original en dehors de cela ?
Les gens sont souvent surpris de savoir que je joue de la vielle à roue (hurdy-gurdy en anglais). J’imagine que le fait que je travaille sur le jeu vidéo et l’intelligence artificielle ajoute à cette surprise. Il s’agit d’un vieil instrument principalement joué en Europe (des sources le font remonter aux Xe et XIIe siècles). La vielle à roue mélange des caractéristiques d’un violon (il s’agit d’un instrument à cordes frottées) et d’un piano (les notes mélodiques sont modulées par un clavier). Elle a aussi des cordes de drones (appelées bourdons) qui jouent des notes continues, comme la cornemuse, et une corde percussive (appelée trompette qui fait « bizz bizz bizz »). Le tout est actionné avec une manivelle et une roue (qui remplace l’archet du violon). Je suis au courant qu’il s’agit d’une explication fort confuse… Une photo ou une explication est souvent plus efficace pour expliquer le fonctionnement de la vielle. C’est un instrument un peu étrange !

En effet ! En tout cas, c’est original ! Et quel type de musique joues-tu avec une vielle ?
Je joue principalement du répertoire traditionnel français, plus précisément de la musique (paysanne) à danser (ce qu’on nomme le répertoire Balfolk). Je suis aussi danseuse traditionnelle ! Le patrimoine vivant est quelque chose qui me touche énormément.

Laura Iseut Lafrance St-Martin dansant à Chants de Vielles, un festival traditionnel
Laura Iseut Lafrance St-Martin dansant au festival Chants de Vielles, à l’été 2023

Très intéressant ! Je pense que notre lectorat espère avoir la chance d’assister à l’une de tes performances, au moins autant que moi ! Si je retourne à ma liste de questions, je vois qu’il me reste une seule… : jusqu’à présent, est-ce qu’il y a des choses que tu n’as pas pu faire, mais que tu aurais voulu faire ? Penses-tu pouvoir les réaliser avant la retraite ?
Bien sûr ! Il y a plein de choses que j’ai envie de faire dans mes nouvelles fonctions de professeure, des recherches et des projets de création, entre autres choses. Je crois que l’UQAC et l’École NAD seront des contextes parfaits pour les réaliser. À moyen terme, j’aimerais mettre en place un projet qui me permettrait d’intégrer ma pratique artistique avec mes recherches sur les univers de jeux vidéo et les communautés en ligne.

C’est au moins un projet que nous serons nombreux à vouloir suivre en tout cas ! Il me reste à te remercier pour ce petit échange qui nous a permis de découvrir non seulement ton travail académique mais aussi une facette fascinante de ta vie !
Merci à Correspondance de m’avoir donné l’occasion de le faire !