IA, Pédagogie

Évaluer les apprentissages à l’ère de l’intelligence artificielle générative : quelques pistes pour le milieu universitaire

Gabriel Dumouchel, professeur en pratiques pédagogiques au Département des sciences de l’éducation

En tant que professeur spécialisé en technologies éducatives, je suis très chanceux d’être aux premières loges pour former les futur.es enseignant.es aux outils d’intelligence artificielle (IA) générative. Quand ChatGPT est apparu publiquement à l’automne 2022, j’ai eu l’honneur de le présenter à des étudiant.es en enseignement du préscolaire et primaire. La grande majorité d’entre eux n’étaient pas au courant de son existence et ma démonstration de l’outil en classe les a fait fortement réagir. Ce fut un mélange de fascination, d’enthousiasme et d’inquiétude. Force est de constater que leur réaction initiale semble être celle qui prévaut encore de nos jours. Cela n’est guère étonnant puisque l’IA accélère comme jamais la production et l’analyse de contenu textuel, illustré et audiovisuel. À l’opposé, le quelconque quidam humain est pris de court. Déjà en proie à la surinformation et la tyrannie de la vitesse ambiante, il est forcé de réagir pendant que la boîte noire de l’IA l’englobe. Vivre en mode béta perpétuel à cause des avancées technologiques revient à courir sur un tapis roulant sociétal. Mais si on n’arrête pas vraiment le progrès, on peut toutefois l’encadrer et surtout se l’approprier. En sachant que la technologie évolue beaucoup plus rapidement que les usages, il est essentiel de faire preuve d’humilité, d’effort, d’adaptation et d’esprit critique. On ne peut pas connaître et exploiter tous les outils disponibles. On doit faire des choix réfléchis tout en s’appliquant à maîtriser ceux qu’on a ciblés de manière individuelle et collaborative. On doit parallèlement s’attendre à ce que ces outils évoluent, disparaissent ou soient remplacés, requérant ainsi naturellement une formation continue. On doit se questionner sur les objectifs de leurs concepteurs et les impacts sociétaux de leurs usages. On doit enfin prendre en compte leurs forces (ex : rapidité) et limites (ex : désinformation), en plus d’analyser leur pertinence face à nos intentions pédagogiques et aux réalités du terrain concerné. Bref, on a du pain sur la planche à roulettes!

D’ailleurs, lorsque je rencontre les futur.es enseignant.es que je vais former, je dois considérer qu’ils arrivent à l’université avec leurs compétences et habitudes technologiques issues de leur vie courante (ex : médias sociaux, cellulaires, jeux vidéo), de leur parcours de formation (ex : messagerie interne Omnivox et portail LÉA du cégep) et de leur expérience de travail (ex : environnement informatique d’un employeur).

Je les amène donc à développer une nouvelle posture professionnelle où les technologies éducatives de l’université :

  • dépassent la convivialité passive des outils de leur vie courante ;
  • remplacent certains outils qu’ils ont appris à utiliser durant leur parcours de formation ou leurs emplois ;
  • servent à soutenir comment ils enseigneront à leurs futurs élèves.

L’arrivée récente de l’IA générative complexifie cette transition identitaire puisqu’elle se transpose rapidement dans la vie courante et éducative des futur.es enseignant.es, que ce soit en s’ajoutant ou en s’insérant aux outils existants. En les accueillant dès la première année de leur formation, je dois d’abord tenir compte de leur bagage pour ensuite les amener à construire peu à peu leur identité professionnelle technopédagogique. Dès leur arrivée, certains sont déjà technophiles ou technophobes alors que d’autres sont plus nuancés dans leur perception des technologies à des fins éducatives. Le niveau de compétence pour utiliser lesdites technologies de manière efficace et pertinente est aussi varié. Je leur rappelle qu’en tant que formateur, on ne doit jamais tenir pour acquis que nos apprenants connaissent et maîtrisent les technologies. Et d’avoir l’IA qui bouscule tout en si peu de temps me permet de leur rappeler qu’ils représentent les premières cohortes qui seront formées à utiliser l’IA générative pour enseigner. Qu’ils sont des pionniers et pionnières du numérique éducatif. Que l’avenir de notre société dépend de leur degré de maîtrise de ces outils comme de la vivacité et de la ténacité de leur esprit critique. Je considère que les futur.es enseignant.es forment un tout qui formera tout. Et c’est un honneur pour moi de les guider du mieux que je peux pour qu’ils y parviennent. Je ne suis pas une source documentaire figée dans le temps. Je suis une personne-ressource disponible au moment présent. En bref, je dois les former et les conscientiser au sujet des manières dont l’IA générative naissante pourrait soutenir ou entraver l’apprentissage. Cependant, en tant qu’étudiant.es universitaires, ils reçoivent principalement comme signaux institutionnels que l’IA rime avec le plagiat, sa prévention et sa répression. Il est certain que les méthodes d’évaluation des apprentissages en milieu universitaire ont dû s’adapter pour contrer les nouvelles façons de tricher grâce à l’IA générative (voir notamment les travaux du Partenariat universitaire sur la prévention du plagiat). Mais dans mon cas, j’ai pu consolider ce que je faisais déjà depuis des années. En effet, afin de m’assurer que mes étudiant.es apprennent réellement à maîtriser différentes familles d’outils numériques pour enseigner, j’ai toujours mis l’accent sur des ateliers pratiques. Et pour éviter que les travaux à remettre soient centrés sur des productions écrites traditionnelles étalées en lignes et paragraphes sur un nombre de pages blanches précisé, j’ai diversifié les types de productions numériques requises (image, vidéo, audio) et exigé des démonstrations ou traces de leur démarche en termes de réalisation et de réflexion.

À titre d’exemple, des outils comme les murs virtuels (ex : Padlet), les cartes mentales/conceptuelles (ex : MindMeister) et les outils d’infographie (ex : Canva) amènent les étudiant.es à transposer – de manière individuelle ou collaborative – leurs rédactions dans des interfaces axées sur la disposition, la fragmentation, l’illustration et la synthèse du contenu.

Des outils de montage audio (ex : Tenacity) amènent les étudiant.es à produire des capsules audio par un simple enregistrement (ex : présentation orale, débat) ou un montage audio (ex : balado). Les capsules peuvent ensuite être sujettes à une évaluation de ma part ou à une réutilisation dans le cadre de ma formation (ex : écoute active en grand groupe ou en équipes).

Pour leur part, des outils de montage vidéo (ex : iMovie) permettent aux étudiant.es de produire des capsules où leurs prestations et propos doivent être structurés et présentés selon les caractéristiques d’un canevas audiovisuel (cadrage, zoom, transitions, sous-titrage, effets sonores, durée, etc.). Mes futur.es enseignant.es sont ainsi amené.es à se filmer pour montrer et expliquer comment ils utilisent des outils numériques pour enseigner. Ces capsules peuvent ensuite leur servir à s’observer et à observer leurs collègues, ce qui rend leur apprentissage plus concret et personnalisé.

Parallèlement, si j’autorise l’usage de l’IA générative dans le cadre d’un travail à remettre, j’exige que les étudiant.es filment leur utilisation à l’aide de la capture d’écran vidéo tout en expliquant leur démarche et en argumentant leurs choix. Bien que plusieurs solutions techniques existent pour filmer un écran d’ordinateur, de tablette ou de téléphone, l’UQAC offre Panopto qui comprend la création et la diffusion de captures d’écran vidéo, ce qui facilite son usage tant pour les formateurs que les étudiant.es de notre institution.

Ainsi, s’ils doivent par exemple questionner ChatGPT pour un travail, des traces audiovisuelles seront disponibles pour l’analyse et l’autoanalyse de leur démarche de génération et d’intégration de contenu. Cela permet bien entendu de prévenir le plagiat, mais aussi à conscientiser et responsabiliser l’étudiant.e sur l’évolution de ses apprentissages, de ses pratiques et de son identité professionnelle. Enfin, en ayant des références sur la manière dont ils ont fait usage des outils d’IA, on revitalise du même coup les sempiternelles bibliographies parsemées de pierres tombales documentaires rarement revisitées par leurs artisans.

Par ailleurs, et c’est ici la portion futuriste de ma réflexion, l’IA pourra éventuellement se baser sur le corpus des réalisations (travaux, examens, prestations) et démarches (utilisations, explications, argumentations) d’un.e étudiant.e universitaire pour analyser rapidement sa progression et lui servir de portfolio numérique proactif. Car, plutôt que de déposer des artéfacts dans un portfolio traditionnel qui ramasse trop souvent la poussière numérique et qui est très peu réutilisé à la suite de la diplomation, l’IA pourrait s’abreuver desdites réalisations et démarches personnelles pour faire ressortir les forces, limites, zones d’ombre et pistes de solution propres à chaque étudiant.e. On pourrait même envisager des analyses rapides et éclairantes sur les apports et écueils des travaux d’équipe ou des dynamiques de groupe si elles portent sur les réalisations et démarches qui sont le fruit de collaborations ou de communautés d’apprenant.es au sein d’un ou plusieurs cours.

Mais l’heure est à l’esprit prompt comme dirait ChatGPT. Ne vous enfargez pas dans les fleurs du tapis roulant numérique, chers collègues formateurs. Réfléchissez à vos stratégies d’évaluation des apprentissages face à l’IA, notamment en diversifiant le format des productions exigées et en exigeant la capture d’écran vidéo des démarches d’utilisation des outils employés.