Opinion

La collégialité

Vincent Morin, DSEA

Depuis que j’ai accepté publiquement de dénoncer la gestion actuelle de l’Université, je me suis posé plusieurs fois la question sur mes motivations mais aussi sur l’idéal que je voulais défendre. On parle beaucoup de la notion de collégialité mais ce concept, même s’il est clairement défini (ou pas si clairement) à plusieurs reprises dans des écrits universitaires, m’apparait plutôt un concept nébuleux.

Je suis arrivé à l’UQAC en 2001 et la première interprétation que j’ai pu faire de la collégialité, c’était que mes collègues collectivement avaient le pouvoir de ne pas renouveler mon contrat et donc techniquement de me congédier. J’ai donc pris pour acquis que mes 30 collègues étaient en quelque sorte mes patrons et que je ne devais pas leur déplaire. Heureusement, j’ai survécu à cette première épreuve, d’où le fait que je suis encore bien en selle depuis 19 ans.

Plus tard, cette notion de collégialité s’est raffinée. J’ai compris l’importance de faire des alliances stratégiques pour faire passer une idée plutôt qu’une autre. Prioriser le poste X, plutôt que le poste Y, le cours A au cours B… J’ai donc sciemment fait partie de groupes qui ont pu faire avancer des idées au détriment d’autres idées moins porteuses, se souciant trop peu des gens qui par ce processus se voyaient parfois délaissées. Pour moi, la collégialité impliquait de faire passer les idées du groupe le plus dominant, le plus nombreux.

J’ai eu la chance de faire quelques années au SPPUQAC et j’ai pu voir l’autre revers de cette collégialité. Voir des individus dont on a brisé les élans, qui ont été rabroués par les collègues. Peut-être le méritaient-ils tous? Mais parfois, je me dis qu’avec un peu d’encadrement, avec un peu de dialogue, on aurait pu trouver d’autres solutions que la voie syndicale.

J’ai moi-même été directeur de département et l’esprit de collégialité a toujours été important pour moi. J’ai fait tous les efforts possibles pour mobiliser les gens, conserver un climat de collaboration et de dialogue. Mais malheureusement j’ai dû parfois rendre des décisions difficiles, que je croyais pour le bien commun, et qui ont probablement brisé des élans. Encore aujourd’hui je ne sais pas si j’ai pris les bonnes décisions, si j’aurais pu faire mieux et autrement. C’est complexe finalement la collégialité.

C’est déjà complexe dans un département où s’affrontent des points de vues divergents sur l’avenir des programmes, des cours et des projets de recherche. Où l’ambition et les idéaux des jeunes professeurs doivent cohabiter avec les acquis et la sagesse des plus expérimentés. Comment ne pas démolir les ambitions sans bousculer les acquis, les façons de faire parfois ancestrales? Croyez-moi j’ai vu tellement de collègues partir à la retraite remplis d’amertume, quand ce n’est pas dans l’indifférence la plus complète. Et imaginez en temps de pandémie où les rencontres sociales et les diners de départ à la retraite sont à proscrire.

Alors la collégialité dans le contexte d’une université? Concilier tous les points de vue et les idéaux de chacun m’apparait une tâche quasi impossible. Les réalités sont si différentes et parfois diamétralement opposées. Faire le consensus et mobiliser la majorité des gens est une mission difficile. Plaire à tous est virtuellement (et j’emploie volontairement ce mot en contexte de pandémie) impossible.

C’est pourquoi dans une université en santé, il faut encourager le dialogue, il faut laisser la chance à chacun de pouvoir s’exprimer sans crainte de représailles, de la part de ses collègues autant que de la direction. C’est vrai que dialoguer ce n’est pas agir. Et dialoguer ce n’est pas si efficace. C’est toujours plus rapide d’imposer. Et dialoguer ce n’est pas simplement un exercice de planification stratégique où nous décidons tout de suite les orientations et les actions jusqu’en 2023, basées sur des indicateurs rationnels et mesurables. Dialoguer ce n’est surtout pas un processus qu’on peut cartographier (pour ceux qui ont vécu le Lean) et encore moins quelque chose qu’on peut stratégiquement planifier.

Nous avons été relativement unis pour dénoncer le manque de collégialité et nous avons cru le faire pour faire valoir notre point de vue, pour défendre les idéaux universitaires auxquels nous croyons. Mais partageons-nous réellement les mêmes idéaux, la même vision de ce que devrait être une université. Sommes-nous prêts à dialoguer sur nos idéaux respectifs, sur notre vision de l’université et essayer de concilier nos points de vue en quelque chose de constructif? Ou attendons-nous simplement un sauveur qui saura nous guider à travers les ténèbres?