Utiliser la captation vidéo pour corriger les travaux des étudiant.e.s et favoriser les apprentissages
Emmanuelle Aurousseau, Chargée de cours en fondements des apprentissages et en didactique des sciences au Département des Sciences de l’éducation
Lorsque les étudiant.e.s arrivent en salle de classe, ils ou elles n’ont souvent pas les mêmes objectifs que l’enseignante. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit avant tout de « passer le cours ». Pour ma part, je vise d’abord l’apprentissage avec pour conséquence l’obtention des crédits universitaires qui suivra. Par ailleurs, je trouvais que l’évaluation n’était pas suffisamment au service des apprentissages et que l’étudiant.e avait davantage tendance à recevoir un résultat numérique, une cote plutôt que d’y voir une occasion réelle d’apprendre et de faire le point sur les apprentissages.
Le contexte pandémique nous a amenés vers de nouvelles façons de travailler et nous a permis de découvrir de nouveaux outils, dans lesquels nous ne nous serions peut-être pas aventurés si les conditions ne nous y avaient pas contraints. En mode virtuel, il fallait assurer un suivi auprès des étudiant.e.s et envisager des rétroactions pertinentes. Je corrigeais déjà mes examens de manière électronique. J’y ai ajouté l’évaluation sans note et la rétroaction vidéo à l’aide de Screencast-O-Matic.
Bien entendu, pour répondre aux exigences académiques, une note sera finalement attribuée, mais la première rétroaction se fait sur la base d’une grille d’évaluation détaillée. Elle ne comporte que des commentaires, des conseils, des questions, des suggestions. Beaucoup, beaucoup de commentaires, de conseils, de questions, de suggestions ! Les étudiant.e.s déposent leur travail sur Moodle et reçoivent, sur cette plateforme, un lien vers une vidéo dans laquelle je corrige et je commente « en direct ». Bien entendu, cela nécessite pour moi une première lecture de leur travail avant de me lancer dans la phase captation vidéo. Ils ou elles peuvent ainsi suivre la correction, guidés par le curseur jaune de la souris et mes commentaires audio. Ils ont ensuite la possibilité de prendre en compte ces multiples remarques pour améliorer leur travail dans une deuxième version, qui elle sera évaluée de manière chiffrée.
Je tiens à préciser que mes examens sont des écrits de synthèse : les étudiant.e.s doivent produire un travail argumenté, qui prend obligatoirement en compte une dizaine de textes qui leur ont été proposés en lecture durant la session. Je m’attends à y retrouver des références judicieuses à ces lectures, ainsi qu’aux différents concepts abordés en cours. Il y a deux écrits : un travail individuel de mi-session (30 %), un travail individuel de fin de session (30 %) et quelques ateliers qui se font en équipe (40 %).
Les étudiant.e.s sont dans un premier temps surpris, voire déstabilisés, de ne pas avoir de note. Certains la réclament à cor et à cris. Je réponds que je ne peux pas mettre de note à un travail que je considère comme un « travail en construction ». Dans la très grande majorité, les étudiant.e.s apprécient. Ils ont l’impression de progresser, de comprendre. Ce genre de rétroaction permet d’atteindre un niveau de détails qu’une correction plus « classique » ne permet pas. J’explique en profondeur, dans une rétroaction très personnalisée où l’étudiant.e est appelé par son nom. Je fais du modelage si cela est nécessaire. J’interpelle l’étudiant.e: « qu’en penses-tu…, ne crois-tu pas… et si tu envisageais plutôt de… ». Nous travaillons autant sur le fond (concepts, articulation des concepts) que sur la forme (argumentation, cohérence du texte, normes bibliographiques).
J’ai mené à bien ce travail avec mes trois groupes de l’automne et mes 3 groupes de l’hiver (environ 90 étudiant.e.s par session), dont un groupe en intensif, ce qui complexifie grandement le travail, au regard du temps imparti! J’ai vu des étudiant.e.s partir de très loin, s’investir et persévérer, ce qu’ils n’auraient peut-être pas fait s’ils avaient reçu un C (voire moins) sans autre forme de procès ou presque. J’y ai vu comme un moment charnière pour certains : une sorte d’éveil et de prise de conscience de leur capacité. Je garde notamment en tête quatre étudiant.e.s (dont une, sur le point de décrocher), avec qui nous avons multiplié les rencontres par Zoom, pour avoir un éclaircissement, une validation, une explication, ou pour tout simplement les encourager. Je me souviens d’eux, puisqu’ils ont mené à bien leur deuxième travail de session seuls, en réinvestissant les notions apprises dans le travail de mi-session. Il n’y a même pas eu besoin de deuxième version pour ce travail final ! La fierté dans le regard (même sur un écran !) de ces étudiant.e.s est une telle récompense, que cela justifie tout le travail demandé.
En effet, pour ceux qui se posent la question « est-ce que je vais gagner du temps dans mes corrections? », je répondrais: « … pas vraiment … », peut-être même en consacrerez vous un peu plus. Mais, j’ai l’impression d’avoir fait mon travail : les étudiant.e.s, pour la plupart, ont appris. Les étudiant.e.s, par la suite, discutent très rarement leur note : ils ont tous les éléments, critère par critère pour atteindre l’excellence. Ensuite, tout repose entre leurs mains, en fonction de leur détermination.
Effectivement, en paraphrasant Vienneau, je dirais que l’enseignant est un médiateur qui « peut emmener l’élève jusqu’aux portes de la connaissance, mais seul l’apprenant peut en franchir le seuil »[1].
[1] Vienneau, R. (2005). Apprentissage et enseignement : Théories et pratiques. Montréal: Gaëtan Morin, p. 11.