Jeudi 20 janvier 2022, Corridor du P1 à la sortie des classes de 15h45. ©Mathieu Fiset
Mathieu Fiset, professeur en génie civil au Département des sciences appliquées
Encore tout récemment, j’entendais collègues et amis dire « j’espère que la situation reviendra à la normale », en parlant des activités de la communauté universitaire. Je me suis donc ici humblement interrogé sur cette dite normalité, particulière dans le contexte d’un professeur en début de carrière.
Je débuterai cette réflexion par un retour sur mes trois premières années à titre de professeur à l’UQAC. Plusieurs d’entre nous se souviennent probablement du moment et de l’endroit où ils étaient lorsqu’ils eurent appris la 1re fermeture de l’UQAC attribuable à la COVID19, le jeudi 12 mars 2020. Pour ma part, j’étais en route lors de mon périple jadis hebdomadaire me menant de l’autre côté du parc des Laurentides, alors confortablement assis près de la fenêtre de l’autobus, en train de préparer le cours de béton armé devant être dispensé le jeudi subséquent. À ce moment, cela faisait 14 mois et demi que je faisais partie du corps professoral de l’UQAC. À l’instar des autres cours que j’avais donnés lors des trois trimestres précédents, il s’agissait de la toute première fois de ma jeune carrière que je donnais ce cours. Comme mes collègues-professeurs, il est vite devenu indispensable de réinventer mes méthodes de travail afin de poursuivre mes mandats d’enseignement, de recherche et de service aux collectivités.
Armé de ma caméra et de son trépied acquis pour l’occasion, des capsules vidéo expliquant la conception de poutres et de colonnes en béton armé ont remplacé l’enseignement normalement magistral. L’utilisation de nouveaux moyens technologiques a depuis coloré l’enseignement à distance et le travail du professeur en général. Du côté des activités de recherche, les rencontres d’équipes ou de groupe de chercheurs typiquement tenues dans des salles bondées, activités bouillantes d’idées et d’innovation, se sont ainsi transformées en de sobres réunions Meet, Teams ou Zoom menées du domicile. Les étudiants chercheurs aux cycles supérieurs ayant pour la plupart dû déserter leur bureau universitaire au profit de leur salon, ou de toute autre pièce du logis adaptée, le traditionnel « auriez-vous 2 petites minutes, j’aurais une petite question » un jeudi 16h59 fut remplacé par le café courriel du vendredi matin.
Également, certaines pratiques ont pratiquement cessé de faire partie du quotidien du professeur. Parmi celles-ci, il est possible de retrouver la quasi défunte discussion informelle de corridor. Cette activité pourtant riche d’échanges et de chocs d’idées conduisant, par ma part du moins, à de nouveaux questionnements scientifiques ainsi qu’à la mise en place de projets de recherche prometteurs, est devenue l’exception plutôt que la règle. Pour ma part, avant d’entamer ma carrière à l’UQAC il y a 3 ans, je ne connaissais que très peu la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean autre que par de courtes visites dues au sport. Devant l’inconnu du milieu et les dédales de la tâche, ces rencontres informelles m’ont permis, du moins, durant mes premiers 14 mois à l’UQAC, de créer et maintenir des relations humaines, de m’imprégner du milieu universitaire et de m’intégrer au tissu social universitaire et régional. Les contraintes associées aux 22 mois de pandémie suivants ont, naturellement, rendu plus difficile le maintien et le développement de ce réseau social qui, malgré tout, était présent et m’a soutenu dans les différents défis posés par la pandémie.
Ainsi, bien que le travail du professeur demeure centré sur l’enseignement, la recherche et le service aux collectivités, force est de constater que la pandémie de COVID 19 a fait évoluer les méthodes de travail ainsi que les relations professionnelles et interpersonnelles. Pour ma part, la majorité de ma jeune carrière de professeur s’est déroulée dans cette période tumultueuse et imprévisible. Il serait donc vrai d’affirmer qu’une réunion Teams, un cours Zoom ou les corridors déserts de l’UQAC représentent davantage des conditions normales de travail qu’une anomalie exceptionnelle. En ce sens, je me considère privilégié d’avoir amorcé ma carrière avant le 1er confinement et ainsi goûter au préalable à 14 mois d’anormalité.
De façon plus générale, tous n’ont pas eu cette chance. Il est possible ici de penser aux professeurs en début de carrière embauchés depuis le début de cette tumultueuse période pandémique. Pour ces collègues, les conditions qualifiées de normales par la majorité constituent plutôt l’exception. Pour ces collègues, cogner à la porte voisine lorsque face à une difficulté ou développer une relation interpersonnelle autour d’un café ou lors d’une rencontre de couloir est tout sauf normal. Dans ce contexte pandémique bouleversant nos habitudes, et considérant l’actuelle pénurie de main d’œuvre et l’attractivité croissante du milieu industriel, il apparaît essentiel de porter une attention particulière au support, à l’intégration et à l’imprégnation de ces jeunes collègues au milieu universitaire, afin de favoriser leur épanouissement et leur rétention. Il apparaît également que ce constat peut s’appliquer à d’autres sphères de nos activités. Entre autres, le recrutement, l’intégration et la rétention de nos étudiants aux cycles supérieurs pour qui, comme moi, ne connaissent que l’anormale normalité.