Zoom et La Soirée du hockey

Benoit Melançon, professeur en prévisualisation et analyse filmique à l’École NAD / UQAC

« Allo, le soutien technique? La COVID a transformé les visages de mes étudiants en une grille de noms en lettres blanches sur fond gris… »

Depuis bientôt deux ans, la pratique de l’enseignement à distance est devenue une réalité pour la majorité du personnel enseignant. Lorsqu’il s’agit de stimuler l’intérêt de nos étudiants pour nos prestations pédagogiques, les plates-formes comme Zoom peuvent susciter bien des frustrations : dans mon cas, la trouvaille d’un confrère m’a permis de développer avec lui une nouvelle manière d’offrir mes cours.

Retour à l’hiver 2020 et au premier confinement : après quelques tentatives décevantes de préenregistrer mes cours sous forme de capsules vidéo, il était clair que je devais désormais privilégier l’enseignement en direct, même si cela devait être à distance. Comme mes collègues, j’avais déjà été confronté au défi de briser « le mur du Zoom » pour stimuler ma classe à s’intéresser à la matière présentée. Dans l’éventualité probable où les mesures de distanciation perdureraient à l’automne, je disposais de quelques mois pour adapter ma démarche pédagogique en ce sens.

Ma principale tâche d’enseignement à l’automne devait être le cours Image numérique : art et histoire. Ce cours fait partie des premières formations qui furent concoctées au sein de l’École NAD au milieu des années 1990 : c’est aussi l’une de celles que je connais le mieux pour avoir contribué de manière importante à sa conception et à ses régulières mises à jour. Depuis plusieurs années, je partage l’enseignement dudit cours avec mon collègue Louis-Philippe Rondeau qui a lui aussi contribué à la mise en forme de son contenu. Le cours étant divisé en deux groupes d’une soixantaine d’étudiants, nous avons l’habitude de nous partager la tâche chaque automne, voire de comparer nos notes quant à la présentation et à la réception de notions spécifiques.

Alors que Louis-Philippe enseigne au groupe des étudiants en effets visuels, je m’occupe de celui réunissant les étudiants en jeu vidéo. Cette distinction reflète nos expériences respectives dans ces deux industries connexes, et également dans nos parcours de formation. Elle implique que les exemples invoqués durant nos prestations respectives tendent à relever davantage de l’un des domaines plutôt que de l’autre, même si le contenu théorique du cours demeure identique entre les deux classes. Parce que Image numérique : art et histoire porte sur les progrès des soixante dernières années en matière d’infographie, sa trame temporelle foisonnante, ses nombreuses études de cas et ses anecdotes parfois croustillantes en font un cours à la fois instructif et divertissant.

Publicité pour la console Wii de Nintendo dans le style Art nouveau. Clara Arnaudin, École NAD/UQAC, 2016.

Malgré cela, la rentrée particulière de l’automne 2020 représentait pour nous un nouveau défi : parce que ce cours est offert en première session de baccalauréat, les étudiants qui y assistent ne se connaissent pas encore entre eux, et ne sont pas familiers avec l’environnement de l’école. Dans le cadre d’un cours en présentiel, il demeure coutumier de devoir patienter quelques semaines après le début de la session avant que ne se dissipe la gêne de chacun, et que les échanges en classe prennent de l’ampleur. Mais dans un contexte de rentrée virtuelle, il était clair qu’une telle socialisation entre les nouveaux étudiants serait beaucoup plus lente à se développer, et que la tenue du cours risquait d’en souffrir. Pour Louis-Philippe et moi-même, la perspective d’une session entière à observer une grille silencieuse de caméras fermées ne nous enchantait guère… Nous devions donc concocter de nouvelles stratégies pour dynamiser la tenue de nos classes, et idéalement favoriser les interventions des étudiants. Mais comment?

Plusieurs options s’offraient à nous (incluant les nombreuses ressources fournies par l’UQAC), mais impliquaient une refonte souvent substantielle des pédagogies que nous avions peaufinées au cours des (nombreuses!) sessions passées. La peur de jeter le bébé avec l’eau du bain était pour nous très tangible, et nous espérions trouver une solution à la fois simple et efficace pour stimuler nos étudiants à distance sans avoir à trop restructurer nos cours. 

L’idée est venue à Louis-Philippe par le biais des balados qu’il aime écouter dans l’autobus. Il m’expliqua que beaucoup de ces balados consistaient en un monologue d’un unique animateur, mais que lui-même préférait ceux comportant une conversation entre plusieurs intervenants. « C’est beaucoup plus dynamique, et l’énergie entre des interlocuteurs passionnés est vraiment contagieuse pour celui qui écoute », précisait-il. Son idée toute simple était la suivante : au lieu de donner chacun de son côté un cours identique, pourquoi ne pas plutôt donner chacune de nos deux classes… à deux professeurs?

N’étant pas un amateur de balados moi-même, l’image qui me vint alors à l’esprit fut celle d’un ancien souvenir de mon enfance, celui de l’émission La Soirée du hockey à Radio-Canada que j’écoutais (plutôt sporadiquement) avec mes oncles et mes cousins. À l’époque, le tandem René Lecavalier – Gilles Tremblay était déjà bien cimenté, et leur complicité était fortement appréciée des téléspectateurs. Outre les moments où l’attention se portait sur le jeu lui-même, c’était les échanges passionnés entre les deux hommes affublés de vestons bleu clair qui s’imposèrent dans mon esprit. Peu importait que la game ce soir-là se révèle captivante ou monotone, la conversation était toujours intéressante et clairement menée. Avec le recul, il me semblait que chaque interlocuteur faisait preuve tour à tour de volubilité ou d’écoute, et chaque intervention semblait fournir un tremplin pour la remarque suivante.

Un “jeu pré-vidéo” à la Cour du roi de France. Joël Caron, École NAD/UQAC, 2014.

Le paramètre crucial était le souvenir de mes oncles et de leur intérêt soutenu pour ces moments de répit dans le déroulement de la partie… Est-ce qu’une dynamique semblable pourrait s’appliquer à un cours à distance sur Zoom, et conjurer un manque d’intérêt similaire chez nos étudiants pour le contenu du cours? Le contexte propre à Image numérique : art et histoire nous poussait certainement à le croire, puisque son approche historiographique se prêtait bien à la mise en récit, tout comme les moments forts d’une partie de hockey. Également, comme les commentateurs sportifs, Louis-Philippe et moi-même avions tous deux une excellente connaissance de la matière du cours, et y portions encore un grand intérêt après toutes ces années d’enseignement. Enfin, la charge de travail supplémentaire nous paraissait à peu près nulle, puisque nos enseignements paraissaient pratiquement identiques : le seul effort serait une période de trois heures à passer chaque semaine en bonne compagnie (tout en satisfaisant notre curiosité à voir comment un contenu qui nous est familier peut être présenté par un autre professeur).

À la lumière de cette analyse, nous avons donc décidé d’un format commun à nos cours de la session d’automne : après les deux premières périodes dispensées en solo, nous passerions à un enseignement à quatre mains. Louis-Philippe serait mon invité dans ma classe du jeudi, et prendrait le rôle de « l’analyste » vis-à-vis mes propos de « descripteur ». Pour le groupe du vendredi, les rôles seraient inversés, et ce serait à moi de ponctuellement intervenir dans la classe de Louis-Philippe. Par ses similitudes avec le format télévisuel, nous espérions pouvoir ainsi exploiter la plate-forme Zoom à notre avantage.

La grande inconnue demeurait le degré de rétroaction du public étudiant : accepterait-il d’intervenir dans nos échanges, ou demeurerait-il passif face à nos prestations d’inspiration sportive?

À l’automne venu, les résultats de nos cours en tandem dépassèrent nos espérances, et nous amenèrent à découvrir certains éléments insoupçonnés. Tout d’abord, comme nous l’avions espéré, notre passion pour la matière du cours et le dynamisme découlant de nos discussions se communiqua à nos étudiants. Cela encouragea les interactions en classe, mais pas nécessairement par le biais des micros : c’est surtout par l’entremise du panneau « discussion » (chat) que les étudiants posèrent davantage de questions que dans les périodes enseignées en solo, et échangèrent entre eux sur certains points spécifiques du cours parallèlement au discours du professeur. Je fus amusé d’y voir là un comportement similaire à celui d’un téléspectateur classique qui partage ses commentaires durant la partie avec ses contacts sur les médias sociaux…

Les cours en tandem furent également l’occasion de constater que, comme en matière de sport, les entretiens entre spécialistes sont loin d’être objectifs, mais au contraire sont prétexte à différentes perspectives sur les mêmes événements. Bien que Louis-Philippe et moi-même soyons très familiers avec la matière du cours, nous avons découvert comment nos interprétations des paramètres historiques, sociaux et culturels de l’image numérique pouvaient parfois se révéler différentes, voire complémentaires. Cette pluralité de points de vue contribua à bonifier nos échanges, mais incita surtout les étudiants à y participer davantage, peut-être parce qu’il semblait moins risqué d’être en désaccord avec le professeur. Quoi qu’il en soit, j’aime penser que ce « choc des idées » entre mon collègue et moi-même contribua à enrichir nos enseignements respectifs, un bénéfice d’autant plus précieux qu’il n’aurait pas été possible de le réaliser autrement que par notre initiative des cours à quatre mains.

Hasards heureux de l’escarpolette de Jean Fragonard, revisité avec les personnages du jeu vidéo Super Mario. Roxanne Ross, École Nad/UQAC, 2019.

Enfin, même si cela est difficile à mesurer avec exactitude, donner un cours à deux professeurs nous a paru encourager un esprit de corps au sein de nos classes fragmentées. Outre l’augmentation significative des questions et des commentaires à partir de la troisième période de cours, il nous a semblé que l’énergie et la bonne humeur de nos échanges ont favorisé l’impression chez nos étudiants que nous étions des professeurs intéressés et surtout accessibles. Cette conséquence de notre expérience n’est pas anodine, puisque l’École NAD s’apparente en de nombreux points à une école de métier : il importe donc que ses étudiants puissent facilement s’entretenir au besoin avec leurs professeurs dans le cadre de leurs apprentissages, ce qui n’est pas nécessairement aussi simple en temps de pandémie où les rencontres de corridor se font plus rares… Si un étudiant doit prendre le temps d’articuler une demande spécifique dans un courriel à mon intention, il lui sera évidemment plus tentant de le faire s’il me considère à priori comme étant stimulé dans mon rôle de formateur.

En conclusion, je considère que cette expérience ponctuelle d’enseignement en tandem constitua une excellente stratégie pour stimuler et dynamiser la tenue de nos cours dans le cadre d’un enseignement à distance. Bien que cette initiative personnelle de notre part nous ait coûté quelques heures de labeur supplémentaire le temps d’une session, il est clair pour moi que le jeu en valait la chandelle, non seulement pour assurer la qualité de nos cours, mais également pour motiver nos nouveaux étudiants dans le contexte difficile que nous connaissons.

L’ironie de toute cette histoire est que je n’ai jamais été un grand amateur de sport… De son vivant, mon père désespérait de ne pas me voir partager sa passion pour le tricolore. Je l’imagine maintenant du haut de ses gradins célestes à rire dans sa barbe en se disant : « Enfin! La puck roule pour nous autres! ».

La Correspondance

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