Co-créer en période de pandémie : mobiliser pour innover

Tommy Chevrette, professeur de kinésiologie au Département des Sciences de la santé
Laurie Simard, chargée de cours en kinésiologie au Département des Sciences de la santé
Martin Lavallière, professeur de kinésiologie au Département des Sciences de la santé
et Julie Bouchard, professeure de neuropsychologie au Département des Sciences de la santé

Depuis le printemps 2020, la pandémie de COVID-19 a bouleversé le milieu académique et a affecté l’ensemble des tâches professorales. Les cours en ligne, les services aux collectivités (à distance plus souvent qu’autrement) et les activités de recherche ont été, pour ne nommer que cela, des préoccupations qui nous ont demandé maintes adaptations. Malgré toute cette résilience, les activités de recherche ont ralenti, voire été mises sur pause en attendant une situation plus propice. La majorité de nos activités de recherche n’ont pas été épargnées par ce contexte sanitaire extraordinaire, sauf pour un projet bien particulier.

Ce projet de recherche, qui émane du doctorat de Mme Laurie Simard, a pour objectifs de cocréer un outil pédagogique novateur et d’en évaluer les effets sur le développement global des enfants avec ou sans trouble déficitaire de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH). Bien que l’expérimentation ait débuté tout juste avant l’avènement de la pandémie en Amérique du Nord (février 2020), l’échéancier a pu être respecté malgré toute la complexité de cette étude. Cela a été rendu possible grâce, entre autres, à trois facteurs de réussite soient : 1- une problématique qui préoccupe autant les acteurs du milieu de pratique que l’équipe de recherche, 2- des praticiens impliqués qui croient fermement au potentiel de l’outil pédagogique et 3- une équipe interdisciplinaire proactive qui a su adapter la méthodologie tout au long du projet. Malgré tout, il y a assurément une grande part de chance !

Une problématique préoccupante

Notre projet de recherche vise à répondre à deux problèmes majeurs qui touchent les enfants d’âge scolaire. Il s’agit du faible niveau de pratique d’activités physiques et de la forte prévalence du TDAH chez nos jeunes. En effet, le manque d’activité physique, tout comme la présence de symptômes liés au TDAH, affectent le développement global de l’enfant[1]et peuvent interférer avec son fonctionnement cognitif[2], physique et moteur[3], social[4], affectif[5] et même langagier[6]. Les praticiens (enseignants titulaires, enseignants en éducation physique et à la santé et conseillers pédagogiques) du Centre de services scolaire (CSS) du Lac-Saint-Jean ainsi que les membres de l’équipe interdisciplinaire de recherche (arts numériques, éducation, kinésiologie et neuropsychologie) de l’UQAC ont donc mis en commun leurs expertises et leurs efforts autour d’un but commun : développer et implanter une façon innovante de favoriser le développement global des enfants avec ou sans TDAH.

Un outil pédagogique innovant qui mobilise et qui active

La solution identifiée par notre équipe repose sur la synergie entre la pratique d’activités physiques, concomitante à un engagement cognitif soutenu[7]. Plus spécifiquement, la cocréation du programme COGNi-ACTif – Pense et Bouge avec Ratou est issu d’un processus itératif où praticiens et chercheurs se sont réunis à plusieurs reprises afin de développer un outil basé sur les données probantes de la littérature, qui s’arrime à la réalité du milieu de pratique et qui assure une participation active des élèves.

Le premier prototype du programme a été conçu tel que planifié entre février et août 2020. Malgré la situation pandémique, l’équipe de cocréation est demeurée mobilisée par l’objectif et a créé un total de 32 capsules pédagogiques animées par Ratou, un personnage numérique qui propose aux élèves d’apprendre en bougeant. Ce premier prototype a été expérimenté par les élèves de quatre classes de 4e année du Centre de services scolaire du Lac-Saint-Jean. Les 100 élèves participant à l’étude ont donc été évalués à trois reprises pendant une période de 16 semaines dans le but de mesurer l’effet du programme sur différentes variables liées au développement global de l’enfant. Pour parvenir à réaliser toutes ces évaluations dans une période pandémique, c’est une trentaine d’étudiants.es (assistant.es de recherche) de 1er, 2e et 3e cycles qui ont été mobilisés pour évaluer les élèves du primaire, tout en respectant les diverses règles sanitaires émises par la Direction de santé publique.

En raison des résultats probants de cette première phase (diminution significative des symptômes liés au TDAH)[8], de l’engouement des élèves pour Ratou et de la mobilisation du milieu de pratique autour du développement de notre outil technopédagogique, notre équipe a décidé de poursuivre sa cocréation. À terme, le programme COGNi-ACTif sera développé sous forme de jeu sérieux (jeu vidéo à des fin non ludiques) qui pourra être utilisé en classe comme une modalité d’enseignement[9].

Des solutions de A à Z

La mobilisation exceptionnelle de la part du milieu de pratique est sans aucun doute un des éléments primordiaux ayant permis la réussite de ce projet de recherche. L’excellente cohésion entre les membres de l’équipe de praticiens et de chercheurs, la communication constante entre le responsable du projet au sein du CSS et la coordonnatrice du projet de recherche ainsi qu’un mode d’action proactif ont également été des assises importantes de ce succès.

Nul besoin de mentionner que les obstacles causés par la pandémie ont été nombreux (cocréation à distance, règles sanitaires pour diminuer les risques d’infection des enfants et des évaluateurs lors de l’expérimentation, manque de locaux pour les évaluations, bascule des enseignements en classe vs à distance, port du masque en classe, etc.). Or, à chaque fois, le responsable du CSS et la coordonnatrice ont anticipé positivement les problèmes et ils ont su proposer des plans d’actions clairs et précis aux instances (directions du CSS et comité Covid-19 de l’UQAC). Ainsi, l’équipe de recherche a obtenu l’aval du CSS, du comité Covid-19 de l’UQAC, des parents des élèves participants, des enseignantes titulaires impliqués et du comité d’éthique à la recherche pour poursuivre le projet de recherche.

De la chance … oui mais surtout beaucoup de reconnaissance !

Somme toute, chacune des étapes du projet de recherche a été accompagnée par des défis liés à la pandémie et à plusieurs reprises, nous avons pensé que c’était la fin du projet. Encore aujourd’hui, nous avons peine à croire que nous y sommes parvenus. Néanmoins, le recul nous fait prendre conscience de sentiments très forts associés à ce projet : la reconnaissance et la fierté. Une grande reconnaissance envers chaque personne impliquée (enfants, parents, enseignants, conseillers pédagogiques, assistants de recherche, coordonnatrice, équipe de recherche). Concernant la fierté, ce n’est ni de la vanité ni de l’orgueil, mais bien un fort plaisir lié à la reconnaissance et à la réussite des actions menées dans ce projet.

En conclusion, si cela peut être présenté comme une possible recette de succès, voici les ingrédients ayant, selon nous, contribué au succès de ce projet de recherche :

  • Une problématique connue, provenant du milieu et pour laquelle il n’y a pas encore de solution parfaite ;
  • Des conseillers pédagogiques, des enseignants titulaires et des enseignants en éducation physique et à la santé qui croient au projet, qui se l’approprient et qui participent activement à ajuster ce dernier pour qu’il s’arrime parfaitement à la réalité scolaire ;
  • Une équipe proactive de praticiens et de chercheurs qui s’ajustent et s’adaptent de façon constance à la situation ;
  • Un flot de communication en temps réel.

[1] Bouchard, C., & Fréchette, N. (2010). Le développement global de l’enfant de 6 à 12 ans en contextes éducatifs. PUQ.

[2] Wiebe, S. A., & Karbach, J. (2017). Executive function: Development across the life span: Routledge.

[3] Simard, L. (2018). Impact d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sur les capacités motrices des adolescents (Mémoire de maitrise, Université du Québec à Chicoutimi).

[4] Harpin, V., Mazzone, L., Raynaud, J., Kahle, J., & Hodgkins, P. (2016). Long-term outcomes of ADHD: a systematic review of self-esteem and social function. Journal of Attention Disorders, 20(4), 295-305.

[5] Wehmeier, P. M., Schacht, A., & Barkley, R. A. (2010). Social and emotional impairment in children and adolescents with ADHD and the impact on quality of life. Journal of Adolescent health, 46(3), 209-217.

[6] Ouellet, E. (2010). La relation entre le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité et le développement du langage. (Thèse de doctorat. Université Laval).

[7] Ma, J. K., Le Mare, L., & Gurd, B. J. (2014). Four minutes of in-class high-intensity interval activity improves selective attention in 9-to 11-year olds. Applied physiology, nutrition, and metabolism, 40(3), 238-244.

[8] Simard, L. Bouchard, J., Chevrette T. & Lavallière, M. Les effets d’un programme d’interventions physique et cognitive sur les symptômes d’inattention et d’hyperactivité chez les enfants d’âge scolaire. Congrès Enjeux des jeux 2024 – Axe 2 : la promotion de la santé et du bien-être par l’activité physique. Montpellier (France), décembre 2022 [Présentation orale acceptée].

[9] Berry, V. (2011). Jouer pour apprendre: est-ce bien sérieux? Réflexions théoriques sur les relations entre jeu (vidéo) et apprentissage. Canadian Journal of Learning and Technology/La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 37(2).

La Correspondance

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