Collaborer par le biais d’un groupe de codéveloppement professionnel dans le cadre d’un cours universitaire

Sandra Coulombe, professeure en enseignement professionnel au Département des Sciences de l’éducation

Les orientations ministérielles en éducation et plusieurs écrits scientifiques liés à la collaboration dans les milieux d’enseignement convergent : la concertation et la collaboration contribuent à la professionnalisation des enseignants, à leur développement professionnel et à l’amélioration de leurs pratiques pédagogiques. Avec cette confluence, mettre en œuvre des dispositifs collaboratifs dans le cadre de mes cours pour favoriser l’émancipation des pratiques professionnelles des personnes enseignantes m’apparait, depuis plusieurs années, indispensable. Ce texte présente les caractéristiques des personnes inscrites au baccalauréat en enseignement professionnel (BEP), un dispositif de formation misant sur le groupe et les interactions sociales pour enseigner et faire apprendre ainsi que quelques retombées professionnelles et personnelles liées à la participation des étudiantes et des étudiants dans le cadre de ce dispositif.

Les personnes étudiantes inscrites dans mes cours sont âgées de 45 ans en moyenne. Elles débutent, pour la plupart, l’enseignement de leur métier d’origine[1] dans des contextes d’insertion professionnelle difficile (à taux horaire, à temps partiel, soumis aux variations des effectifs étudiants) et, simultanément, elles doivent se former à l’enseignement en amorçant le BEP. Ces personnes enseignantes-étudiantes ont des chemins professionnels diversifiés et s’inscrivent généralement au BEP après deux ans et demi d’expérience dans le milieu de l’enseignement (Balleux, 2006 ; Deschenaux et Tardif, 2016). Devant ces caractéristiques, il m’apparait essentiel de respecter certains principes andragogiques tels que 1) créer des situations d’enseignement-apprentissage utiles dans le quotidien professionnel, situations dans lesquelles les étudiantes et les étudiants jouent un rôle actif, 2) partir des connaissances antérieures et des expériences vécues, 3) réfléchir sur leurs pratiques tout en apportant du contenu théorique et scientifique, et surtout, 4)  respecter et guider ces adultes.

Pour répondre à ces exigences politico-scientifiques et respecter les personnes inscrites au BEP, la collaboration est centrale dans mes cours. En effet, la collaboration offre un espace pour travailler ensemble, pour partager l’expérience, réfléchir aux pratiques professionnelles et produire des connaissances collectives et individuelles. En collaborant, les individus enrichissent mutuellement leurs connaissances et leurs compétences grâce aux interactions sociales (Borges, 2011 ; Coulombe, Doucet et Zourhlal, 2019 et Dionne et Savoie-Zajc, 2011).

Pour mettre en œuvre des pratiques collaboratives, la démarche de codéveloppement professionnel de Payette et Champagne (1997) est adaptée et mise en œuvre pendant quelques (2-3) séances de cours. Cette démarche s’organise en sous-groupes d’environ huit personnes et vise l’amélioration de la pratique professionnelle, la réflexion et la compréhension des situations vécues dans la pratique. Elle s’organise autour de six étapes. D’abord (1), un des étudiants (E1) expose une situation faisant problème ou un questionnement ou une pratique. Pendant cette étape, les autres membres du sous-groupe écoutent pour ensuite (2) formuler des questions afin de mieux comprendre la situation-problème. Ensuite (étape 3), l’E1 précise ce qu’il attend du sous-groupe vis-à-vis des situations explicitées, soit une analyse de la situation vécue ou des propositions pour résoudre le problème soulevé. La quatrième étape consiste à analyser la situation ou discuter du problème. Pendant une quarantaine de minutes, les autres membres (étudiants, professeurs, accompagnateurs) du sous-groupe analysent, discutent, réagissent en partageant leurs expériences, les connaissances, leurs lectures et en formulant des suggestions et des idées pour aider l’E1. Pendant ces réactions, l’E1 écoute, note et tente d’assimiler les informations ou les suggestions réalisées. À la 5e étape, l’E1 précise ce qu’il retient de la discussion et ce qu’il compte faire à l’avenir dans une situation semblable. Enfin, à l’étape 6, tous les membres du groupe doivent formuler leurs apprentissages et ce qu’ils retirent de l’exercice de codéveloppement pour leur pratique professionnelle.

Les retombées de ce dispositif sont professionnelles et personnelles. Elles sont notamment liées aux objets discutés. En effet, comme les personnes étudiantes sont aussi enseignantes débutantes, les objets de discussions concernent fréquemment la suppléance, les connaissances liées aux programmes de formation professionnelle, les stratégies pour motiver les élèves de la formation professionnelle, la planification des activités d’enseignement-apprentissage et les conditions d’insertion professionnelle. Il est possible d’aborder du contenu très pertinent pour le développement des compétences professionnelles et de l’appuyer théoriquement et scientifiquement. Les étudiantes et les étudiants sont très heureux lorsqu’ils terminent la série de séances de groupes de codéveloppement avec des répertoires de cas, de solutions, de références, de réflexion qu’ils peuvent réutiliser dans leur quotidien. Sur le plan personnel, le bonheur semble authentique. Les étudiants et les étudiantes s’engagent vraiment dans la démarche, dans l’action et dans la recherche de solutions. Le climat d’apprentissage devient rapidement très agréable et les relations humaines semblent très positives. C’est du moins ce dont témoignent les étudiants et les étudiantes, année après année.


Balleux, A. (2006). «Les étudiants en formation à l’enseignement professionnel au Québec : portrait d’un groupe d’étudiants universitaires», The Canadian Journal of Higher Education, vol. 36, no 1,p.29-47.

Borges, C. (2011). «La collaboration enseignante en éducation physique et à la santé», dans L. Portelance, C., Borges, C. et J. Pharand (dir.), La collaboration dans le milieu de l’éducation, Sainte-Foy, Canada, Presses de l’Université du Québec, p.83-102.

Coulombe, S, Doucet, M. et A. Zourhlal (2019). Le codéveloppement professionnel, un dispositif favorisant l’insertion des enseignants en formation professionnelle. Dans Doucet, M. et M. Thériault. L’adulte en formation…pour devenir soi. (199-217). Québec : Presses de l’Université du Québec.

Deschenaux, F. et M. Tardif (2016). «Devenir enseignant en formation professionnelle au Québec : La collaboration entre les acteurs favorise-t-elle la persévérance ?» Revue canadienne de l’éducation, vol.39, no 1. Repéré à : <http://www.cje-rce.ca/index.php/cje-rce/article/view/2093>.

Dionne, L. et L. Savoie-Zajc (2011). «Sens, caractéristiques et retombées de la collaboration entre enseignants et contribution au développement professionnel», dans L. Portelance, C. Borges et J. Pharand (dir.), La collaboration dans le milieu de l’éducation, Sainte-Foy, Canada : Presses de l’Université du Québec, p. 45-60.

Marcel, J.-F., Dupriez, V. et  D.P. Bagnoud (2007). «Le métier d’enseignant : nouvelles pratiques, nouvelles recherches», dans J.-F. Marcel, V. Dupriez, D.P. Bagnoud, D.P. et M. Tardif (dirs.), Coordonner, collaborer, coopérer, Bruxelles : De Boeck Université, p.7-20.

Payette, A. et C. Champagne (1997). Le groupe de codéveloppement professionnel, Québec, Presses de l’Université du Québec.


[1] Administration, commerce et informatique; Agriculture et pêches; Alimentation et tourisme; Arts; Bois et matériaux connexes; Chimie-biologie; Bâtiment et travaux publics; Environnement et aménagement du territoire; Électrotechnique; Entretien d’équipement motorisé; Fabrication mécanique; Foresterie et papier; Communications et documentation; Mécanique d’entretien; Mines et travaux de chantier; Métallurgie; Transport; Cuir, textile et habillementSanté; Services sociaux, éducatifs et juridiques; Soins esthétiques.

La Correspondance

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