Face à l’écoanxiété: les rôles et défis des géographes

| Gilles-H. Lemieux, professeur émérite de géographie de l’UQAC

La géographie, discipline fondatrice pour la compréhension de notre rapport au monde, est aujourd’hui confrontée à des défis sans précédent. À l’ère de l’information instantanée et des technologies numériques, notre capacité à percevoir et à intégrer une vision globale semble s’éroder. Pourtant, les enjeux environnementaux, sociaux et politiques exigent une revalorisation de cette perspective globale, essentielle pour orienter les actions humaines dans un monde en perpétuelle transformation. Cet article explore les défis actuels des géographes, qu’il s’agisse de réhabiliter les principes fondamentaux de l’orientation et de la localisation, de raviver un enseignement critique ou encore de contribuer à l’apaisement de l’écoanxiété. En filigrane, il propose des pistes pour renforcer le rôle de la géographie dans une approche éducative et sociétale intégrée.

Recouvrer la vision globale

L’art de l’auscultation, c’est un peu comme l’art de la cryptographie routière : il est moins essentiel de le maîtriser aujourd’hui, dit le Dr Vadeboncoeur. « C’est un art qui a disparu de mon cerveau et qui a été remplacé par Google maps. Je me trompe de chemin beaucoup moins souvent avec cet outil! » Mais, sait-il où il est? Un des défis urgents de la géographie est de modifier le nouveau concept populaire du « Vous êtes ici » qu’on voit à outrance sur les affiches touristiques, les babillards, les cartes, sur nos GPSs, nos téléphones intelligents; tout ceci sans échelle, sans rose des vents, sans courbes de niveau, sans latitude ni longitude. Tout le monde est ici, mais où? Les touristes prennent quotidiennement des millions d’égoportraits où 80 % de la photo montrent leur visage. Pourtant, ils veulent montrer « qu’ils sont ici »… mais où?

Voilà un nouveau défi. Remettre les principes géographiques fondamentaux d’orientation, de localisation, d’échelle et de proportion à l’ordre du jour; ceci autant dans l’espace que dans le temps. Ainsi, à nouveau, l’histoire et la géographie se tiennent la main. Les nouvelles technologies sont fabuleuses, mais elles se doivent d’amener à nouveau la vision globale pour mieux savoir où et avec qui on se trouve en plus de savoir qu’on y est. Il faut recommencer l’enseignement de tout ceci à partir de la maternelle. Ce sera meilleur pour nos hippocampes, cette structure cérébrale responsable de la mémoire.

Un géographe tente d’obtenir la vision globale pour mieux savoir où et avec qui on se trouve en plus de savoir qu’on y est

Sortir la carte pour comprendre le territoire

Les GPSs (systèmes de positionnement global) ont tué la carte qui servait déjà à comprendre l’ensemble d’un territoire. On ne voit maintenant que la localisation ponctuelle de son être, sur un petit écran, en perdant la vision globale. Les cartes routières (que nous fournissaient gratuitement toutes les stations-service) et les cartes topographiques à plusieurs échelles ont disparu. Or, ces dernières nous donnaient une vérité-terrain impeccable à l’aide d’une toponymie complète des lieux habités, des lacs, des cours d’eau, des chutes, des montagnes, des routes, des chemins, des ponts, des sentiers, des installations importantes et surtout l’accès aux courbes de niveaux traçant avec grande précision le relief du terrain sur lequel nous circulions à pied, à ski, en canot ou autres moyens mécanisés. Nous avions constamment par quadrillage la position géographique en degrés et minutes des latitudes et longitudes avec déclinaisons magnétiques nous permettant de placer la carte en position réelle à l’aide d’une simple boussole (qui n’avait jamais les piles à plat). Ces documents papier ont été remplacés par des pixels numériques accessibles uniquement au moyen des petits écrans de nos GPSs de voiture, de terrain ou de téléphones mobiles. La vision globale de notre environnement a été remplacée par sa vision ponctuelle puisqu’il devient impossible d’accéder à la vision globale sur les écrans numériques sans perdre les détails que nous fournissaient les cartes papier. Nous avons délaissé le macroscope. Comme nous abandonnerons bientôt le livre pour le balado.

Les cartes routières (que nous fournissaient gratuitement toutes les stations-service) et les cartes topographiques à plusieurs échelles ont disparu.

Raviver l’enseignement

La première action à entreprendre serait de rétablir dans les écoles primaires, secondaires et collégiales l’approche de « l’esprit critique », pour ainsi mieux comprendre les enjeux auxquels doit faire face l’humanité. L’approche critique permettrait de peser le pour et le contre, de mieux aborder les problèmes géographiques sous un angle scientifique plutôt que dogmatique. Un recul critique sur les aspects historico-géologiques des multiples refroidissements et réchauffements de notre planète serait plus sain pour juger de l’apport réel de l’Homme au réchauffement global actuel.

En deuxième action, il faudrait expliquer et élucider, en plus de l’augmentation des gaz à effet de serre, les autres enjeux tout aussi importants, sinon plus, concernant les dégradations multiples de l’environnement, comme la croissance démographique, l’agriculture et l’élevage mal gérés, l’amenuisement de la biodiversité, la pollution (de l’air, des lacs, des rivières et des océans), l’empoisonnement de la nourriture, la surpêche océanique, la surconsommation, le recyclage peu généralisé, la disparition des ressources et tous les conflits des nations générés par ces problèmes.

La troisième action englobe les deux autres. Elle passe par l’éducation, l’éducation et l’éducation. Introduire dans tous les programmes d’études la « lévitation » permettant de regarder au-dessus de sa région, de sa ville pour la voir et la comprendre sous un angle différent et dans son ensemble à travers le « macroscope ».

Ré-enseigner dans nos écoles la règle de trois pour comprendre l’échelle :

  • des phénomènes terrestres passés et actuels,
  • des périodes glaciaires,
  • des temps géologiques,
  • des étapes climatiques,
  • des âges historiques,
  • des cartes géographiques,
  • de la circonférence terrestre,
  • d’une année terrestre,
  • d’un million d’années,
  • de l’ampleur spatiale d’une année-lumière,
  • d’une période glaciaire,
  • d’un siècle,
  • etc.

Cette mise à l’échelle permet de se replacer dans l’espace et dans le temps, pour se positionner en regard des 100 ans de notre propre existence dans le continuum de la vie et de l’évolution de notre planète Terre et du Cosmos. Mettre vraiment à profit les outils de Google Earth, Google Maps, Plans, Maps.Me, Garmin, etc. dans une perspective de vision globale et d’éveil à la conscience territoriale.

Puis en vrac : interpréter les paysages aux haltes routières, dans nos milieux de vie et non seulement dans les parcs nationaux et municipaux. À titre d’exemple régional, nous pourrions mentionner la disparition quasi-totale des haltes routières suite à la construction de l’autoroute de la Réserve faunique des Laurentides. Les seuls points d’arrêt n’offrent aucun paysage et ne sont que de vulgaires boîtes à déchets.

Continuer de rétablir le contact avec l’histoire de notre occupation territoriale de concert avec les autochtones. Remettre à la mode, en sortant de nos écrans, le globe terrestre, la rose des vents, l’échelle graphique ou numérique, les directions conventionnelles du haut, du bas, de la droite et de la gauche, de l’arrière et de l’avant. Comprendre qu’aucun lac n’est plat et que scruter les étoiles et les constellations, c’est regarder l’histoire…

Introduire dans tous les programmes d’études la « lévitation » permettant de regarder au-dessus de sa région, de sa ville pour la voir et la comprendre sous un angle différent et dans son ensemble à travers le « macroscope ».

Contribuer à apaiser l’écoanxiété

L’écoanxiété, cette nouvelle maladie psychologique et émotionnelle, se développe à partir des annonces apocalyptiques de fin du monde à la suite du réchauffement global « anthropique ». Il y a trop de monde installé partout sur la planète. Il n’y a plus de place pour la fonte du pergélisol et des glaciers, les glissements de terrain, les inondations, l’érosion des berges, les sécheresses, les feux de forêt, les tempêtes de neige et de verglas, les ouragans, les tornades, les variations centenaires, millénaires et décamillénaires des climats de la planète. Il est difficile d’accepter que la période de déglaciation du Wisconsin ne soit pas encore terminée. Il y a eu 182 prédictions de fin du monde depuis le Moyen Âge. Nous en sommes à la 183e.

Est-ce que nos média sociaux, journaux écrits et télévisés, forums et groupes de discussion, l’école etc, nous éduquent suffisamment sur tous les aspects et les causes du réchauffement global actuel? N’est-t-il pas quelque peu biaisé d’attribuer uniquement à l’être humain ce phénomène planétaire récurrent au cours des âges? Seulement au Canada, plus précisément à l’île d’Ellesmere au 80ème parallèle et au nord de Terre-Neuve à l’Anse-aux-Meadows, des vestiges archéologiques datant des années 800-900 au Moyen-Âge démontrent que les Pré-Vikings et Vikings y chassaient la baleine, y fabriquaient de l’huile qu’ils transportaient annuellement par drakkar aux marchés européens. Il est connu depuis longtemps que cette période du Moyen âge avait un climat plus chaud qu’aujourd’hui même. À partir des années 1350 jusqu’en 1850, un refroidissement global nous amena ce qu’on appelle le Petit Âge Glaciaire. Il faut visiter le site historique de l’Île-Sainte-Croix sur la rivière Restigouche au Nouveau-Brunswick pour comprendre qu’en l’an 1605 Champlain et ses hommes avaient découvert le froid. Voilà, en français d’aujourd’hui, ce qu’il rapportait :

 Il était difficile de bien connaître ce pays sans y passer un hiver… L’hiver nous a surpris plus tôt que nous le pensions… des soixante-dix-neuf que nous étions, trente-cinq sont morts (du scorbut) et vingt autres ont failli périr… C’est pour cette raison que le sieur de Mons et d’autres se sont dits mécontents de l’établissement… L’hiver dure six mois dans ce pays. »

La période actuelle de réchauffement planétaire aurait débuté plusieurs dizaines d’années avant la révolution industrielle. L’augmentation de la température des mers ferait augmenter le CO₂ atmosphérique et non l’inverse. Un nouveau satellite radar a pu cartographier des gonflements multiples sur des étendues de centaines de miliers de kilomètres carrés au-dessus du Pacifique comme de l’Atlantique. Ces gonflements sont caractéristiques de l’expansion de l’eau due à l’augmentation de sa température provoquée par pas moins de 17 000 sources géothermales et volcaniques détectées au fond de ces dites mers. Ajoutons à cela l’activité de dizaines de plaques techtoniques et de miliers de volcans qui ne prend pas de repos. Enfin, il faut mentionner les effets des cycles de l’activité solaire et celle du cosmos sur nos différentes couches atmosphériques, sans oublier les cycles de 14 ans des courants marins…et ce qui se passe dans les rivières multiples de magma dans les profondeurs de la Terre…

Les caméras de nos iPhone et de la télévision sont trop nombreuses. Elles sont installées partout avant que l’accident arrive…et tout doit changer rapidement sans qu’on ait à en subir les conséquences comme si seulement la Nature devait demeurer stable pendant qu’on maintient l’évolution technologique, sociologique et urbaine à un rythme effréné. Dans cette panique médiatique, le citoyen du monde n’en connait que des bribes sans pouvoir le comprendre vraiment dans son ensemble. Il croit que la géographie n’est plus nécessaire maintenant qu’on a Internet…

Un nouveau satellite radar a pu cartographier des gonflements multiples sur des étendues de centaines de miliers de kilomètres carrés au-dessus du Pacifique comme de l’Atlantique.

Relever les nouveaux défis

La coopération internationale est un créneau à développer pour les géographes : analyse de terrain, aménagement du territoire, préparation des interventions en zones de conflits, participation avec les différentes ONG à la détermination des besoins des populations visées, logistique des déplacements et transport, etc. Collaboration avec l’AQOCI, le SUCO, le CECI, le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI), l’EUMC (Entraide universitaire mondiale du Canada), le Programme Uniterra, la Société de coopération pour le développement international (SOCODEVI), l’UNESCO, etc.

Le tourisme international qui évolue à une vitesse grand V aurait bien besoin de géographes pour guider les touristes dans le « vous êtes ici » qu’ils visitent autant dans l’espace que dans le temps.

L’aménagement intégré des territoires et des ressources et le retour à la géographie régionale sont des thèmes prioritaires.

Les géographes doivent monter au front et dire à quoi ils servent. Ils doivent retourner sur le terrain (qui a dit : « La géographie, ça s’apprend par les pieds »?), avoir le souci de diffuser le savoir, de transférer la technologie et de vulgariser les résultats de leurs recherches pour une application concrète dans la société.

La « glocalisation » (ce nouveau mode de gestion à la fois global et local dans le cadre d’une économie mondialisée) en géographie économique se doit d’être prise en considération par les géographes.

Le tourisme international qui évolue à une vitesse grand V aurait bien besoin de géographes pour guider les touristes dans le « vous êtes ici » qu’ils visitent autant dans l’espace que dans le temps.

Les géographes : un rappel

Les géographes étudient le monde physique et examinent les rapports entre les peuples, les lieux et la Terre. Ils examinent les aspects sociaux, comme la démographie humaine, la territorialité; également les aspects physiques tels que la géomorphologie et l’hydrographie, tirant profit d’un certain nombre d’autres disciplines, comme la physique, la biologie, la géologie, l’océanographie, l’hydrologie, l’histoire et la sociologie. Les géographes aident à comprendre les questions sociales, culturelles, sanitaires et environnementales entourant l’aménagement du territoire et la gestion des ressources en examinant comment les différents éléments spatiaux sont liés entre eux. Ils utilisent la carte, la carte et… la carte (sic), la télédétection aérienne et satellitaire, la géomatique, le génie informatique, l’urbanisme, les flux, les modes, les tendances, la politique, l’économie et les drones. Ils ne sont pas des spécialistes en soi, mais des généralistes au carrefour de toutes les sciences. Ils ont le bonheur, le pouvoir et le devoir de former, d’analyser, d’interpréter, de conseiller et d’intervenir.

Conclusion

Au-delà de l’exploration des défis exposés, il apparaît clairement que la géographie doit se réinventer pour répondre aux besoins d’une société en quête de repères. Revaloriser la vision globale, réintroduire une éducation critique et holistique, et engager des collaborations internationales sont autant de leviers pour affronter les crises contemporaines. Ce processus nécessite une mobilisation collective, notamment au sein de notre communauté universitaire à l’UQAC. Ensemble, repensons la place de la géographie dans nos pratiques éducatives et nos projets de recherche, afin d’éclairer les générations futures sur les enjeux d’un monde interconnecté et complexe.

La Correspondance

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