Une réalité incontournable : la fatigue des professeur·e·s universitaires
Le milieu universitaire est souvent dépeint comme un espace de prestige intellectuel, de découvertes scientifiques et d’innovations pédagogiques. Pourtant, cette façade dissimule un envers qui mérite une attention particulière : la fatigue des profs. C’est en tout cas un sentiment partagé par le comité éditorial de Correspondance, votre journal : il semble que de nombreux collègues (et pas seulement des profs) manifestent une fatigue importante, voire s’absentent pour épuisement. Ce numéro spécial de Correspondance se propose d’explorer cette question complexe de la fatigue universitaire, en explorant certaines causes, manifestations et pistes de solution pour un problème qui semble toucher de plus en plus de membres du corps enseignant.
Un état des lieux préoccupant
La fatigue en milieu universitaire est une réalité documentée qui dépasse les simples frontières géographiques et institutionnelles. De nombreux témoignages, tels que ceux présentés par l’Association canadienne des professeurs d’université (ACPPU), révèlent que le stress et la fatigue entraînent une diminution notable de la qualité de l’enseignement, une hausse de l’absentéisme et un désengagement global des professeurs. Ces éléments seraient particulièrement exacerbés par la surcharge de travail, les exigences accrues en matière de recherche et de publication, ainsi que par la pression d’exceller dans un contexte de concurrence mondiale.
Ce phénomène s’inscrit clairement dans une tendance plus large d’épuisement au sein de nombreux secteurs, où les travailleurs se retrouvent « à bout de souffle ». Dans le cas des enseignants, les causes de fatigue vont au-delà des responsabilités académiques : elles incluent des interactions complexes avec les étudiants, les attentes élevées de l’administration et un manque de ressources adaptées aux besoins. La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’aggraver cette situation, transformant la fatigue en un problème systémique qui nécessite une action concertée.
Les facteurs aggravants
Le phénomène de la fatigue universitaire est multifactoriel. D’une part, la “numérisation”virtualisation” accélérée de l’enseignement, notamment par l’usage des plateformes de vidéoconférence, a contribué à l’émergence de nouveaux stress. Les « Zoom fatigue » ou « fatigue liée à la vidéoconférence » résultent, entre autres, d’une surcharge cognitive provoquée par les interactions virtuelles. L’absence de communication directe avec les étudiants et les collègues, le sentiment d’être constamment « observé » (par les autres ou soi-même!), combiné à l’enchaînement rapide des réunions et cours en ligne, peut provoquer un épuisement psychologique difficile à ignorer. Même si la numérisation des relations pédagogiques et entre collègues n’est pas pour déplaire à certain·e·s, il demeure que pour bon nombre de personnes, cette transformation accélérée de façon brutale par la pandémie entraîne une résistance certaine et compréhensible. Et une fatigue palpable.
Des conséquences systémiques
L’impact de cette fatigue dépasse largement le cadre individuel. Lorsqu’un·e professeur·e est épuisé·e, c’est toute la communauté académique qui en subit les répercussions. Les étudiants peuvent ressentir une baisse de qualité dans l’encadrement, l’université voit sa réputation affectée et les collègues doivent souvent assumer une charge supplémentaire pour remplacer, parfois au pied levé, leurs collègues absents, désinvestis ou épuisés. À long terme, ces dynamiques nuisent à la qualité de l’enseignement, de la recherche et des services à la collectivité. Et dans un cercle vicieux, de plus en plus de profs se fatiguent à la tâche…
Une problématique qui appelle des solutions durables
Face à cette réalité, plusieurs pistes de réflexion émergent pour prévenir et gérer la fatigue des professeurs universitaires. La mise en place d’un système de soutien formel, aux plans pratique, psychologique et émotionnel peut sembler souhaitable. Des initiatives, déjà amorcées à l’UQAC d’ailleurs, telles que l’instauration de politiques favorisant un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, ou encore la réduction des tâches administratives non essentielles (ceci demeurant peut-être à inventer à l’UQAC!), semblent prometteuses.
D’autres stratégies incluent la reconnaissance des signes avant-coureurs de l’épuisement, la promotion de pratiques de bien-être telles que la méditation ou la pleine conscience, ainsi que l’encouragement d’une culture d’entraide et de communication ouverte au sein des secteurs et départements. L’exemple de certaines grandes entreprises qui ont nommé des responsables du bien-être ou qui ont intégré des politiques flexibles pourrait également inspirer notre institution universitaire.
Un numéro pour réfléchir et agir
Ce numéro de Correspondance, le Journal des profs de l’UQAC, se veut une modeste invitation à mieux comprendre les défis posés par la fatigue en milieu universitaire. Vous découvrirez des perspectives variées dans les articles sélectionnés pour ce numéro.
Une première réflexion collective intitulée « Face à la fatigue : penser l’équilibre dans le monde universitaire » présente des témoignages et pistes concrètes issues de l’expérience de six professeurs de plusieurs départements de l’UQAC. Cet échange peut être consulté sous forme d’article écrit, mais aussi de balado : en format audio ou en version vidéo.
Un deuxième article, rédigé par la professeure Marie Fall, s’intitule « Démystifier la fatigue à l’université » et propose une analyse approfondie des causes et des solutions possibles.


Enfin, dans « La fatigue, c’est aussi social, mais ce n’est pas contagieux ! », Laureline Chiapello aborde les dimensions sociales et interpersonnelles de la fatigue et explore des stratégies personnelles et collectives pour mieux l’affronter.
Nous espérons que ce numéro spécial sera une opportunité de réflexion pour notre communauté universitaire. En mettant en lumière cette problématique, le comité éditorial souhaitait non seulement sensibiliser nos collègues, mais aussi amorcer un dialogue nécessaire pour améliorer le bien-être de toute la communauté.
Jacques Cherblanc,
Rédacteur en chef