Vincent Morin, professeur en finance au Département des sciences économiques et administratives
Il y a une tendance lourde qui s’observe à l’UQAC depuis quelques années et qui n’a fait que s’accélérer pendant la pandémie, c’est la complexité administrative. Alors qu’on ne cesse de nous parler d’agilité et d’efficacité, j’ai l’impression qu’on passe beaucoup de temps en réunions à définir des mots que l’on va mettre dans nos plans stratégiques, puis nos plans d’actions. On passe un temps fou à justifier et rejustifier chacune des activités de nos programmes, chacune de nos demandes. Bref, alors que notre mission principale (et par le fait même notre raison d’être) est l’enseignement et la recherche, je ne peux que constater que nous sommes nombreux à passer plusieurs heures par semaine en réunion de gestion, à faire de la reddition de compte, à remplir des formulaires.
Le nouveau Lean management
Ça ne fait que me rappeler la mode antérieure qui était au Lean management, une approche de gestion qui devait nous rendre plus efficaces et plus rapides mais qui au final nous paralysait dans de trop nombreuses réunions où nous devions décortiquer des dizaines de processus. Je me rappelle qu’une personne me disait que dans son service c’est plus d’une vingtaine de cartographies différentes qui avaient été réalisées. Avec le recul, je me dis que la compagnie 3M (celle qui fabrique les post-it) a dû voir ses actions augmenter passablement pendant ces années.
Comprenez-moi : je ne suis pas contre la planification stratégique, tout comme je crois aussi aux vertus de l’amélioration continue. Je crois que chaque approche s’équivaut dans la mesure où elle est faite de façon efficace. J’ai d’ailleurs bien aimé l’idée de faire des rencontres d’équipe et d’échanger sur nos visions et de tenter de construire ensemble un plan d’avenir pour nos programmes et nos départements. Si je crois qu’il est important que tout le monde s’approprie la mission et les objectifs communs, je me questionne s’il est absolument essentiel que chacun puisse exprimer son opinion sur les mots et le temps des verbes qui composent ce même plan.
Tout comme ce fut le cas pour le Lean management, j’ai l’impression que l’on transforme une bonne idée en une obsession. La planification stratégique devient l’unique voie de développement et doit s’inscrire dans le fonds et dans la forme dans la lignée du plan stratégique institutionnel qui a été défini par quelques personnes de la haute direction. Parce que si vous voulez avoir des budgets et des ressources, il faut faire des plans d’actions. Et pendant qu’on réfléchit à nos plans d’actions, pendant qu’on passe des heures et des heures en réunions à choisir les mots qui doivent composer ces mêmes plans, eh bien on ne peut se concentrer sur notre mission première, notre raison d’être : l’enseignement et la recherche.
Je suis peut-être trop cynique et peut-être les nombreuses années passées à l’UQAC, comme professeur, puis directeur de programme et de département, auront eu raison de ma naïveté et de mon enthousiaste débordant. Certains diront que ces efforts de réflexion sauront rapporter des dividendes pour les années à venir; que nous aurons mis en place des plans d’actions qui pourront nous guider pour les prochaines années. Ma crainte est qu’éventuellement tous ces efforts et ces beaux plans finissent au même endroit que nos cartographies. Quelqu’un sait où elles sont rendues?
Avenir incertain
A l’heure actuelle, nous sommes encore dirigés par un recteur par intérim. Des bruits de corridors (probablement plus des corridors virtuels) disent que le prochain (ou la prochaine) recteur devra vraisemblablement provenir de l’extérieur. Une tendance que l’on observe de plus en plus dans les postes de gestion à l’UQAC et qui est sûrement un autre phénomène inquiétant. Et si ce sauveur provenant de l’extérieur arrivait avec son propre modèle de gestion, ses nouvelles idées, ses façons de faire et avec sa nouvelle planification stratégique? Et si le contexte financier post-pandémie était tel qu’il nous faudrait revoir nos priorités et gérer de la décroissance et de l’austérité? Que deviendraient alors nos beaux plans d’actions? Dans ce contexte, ne devrions-nous pas faire preuve de davantage de pragmatisme? Cesser de débattre longuement sur des grandes orientations ou sur le vocabulaire et plutôt identifier quelques actions mobilisatrices et réalistes qu’on peut rapidement mettre en place pour améliorer la situation? Ainsi, nous aurions davantage de temps pour nous concentrer sur les tâches pour lesquelles on a été embauché.
Liberté académique et technocratisation
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les textes de mes collègues sur la liberté académique. Je suis conscient que les débats actuels sont importants et définiront le cadre de notre profession pour les années à venir. Mais de façon beaucoup plus subtile, la technocratisation est en train de changer le rapport de forces dans les universités québécoises :
– en exigeant des plans stratégiques qui déterminent nos actions à venir et sur lesquels nous devrons rendre des comptes annuellement;
– en ajoutant continuellement des processus, des procédures, des contrôles, des suivis, et ce sans compter l’impact grandissant des organismes d’agrémentation qui viennent déterminer nos contenus de programmes, de cours et nos modes d’évaluation;
– en augmentant la taille de l’appareil administratif et légal au détriment des ressources dédiées directement à l’enseignement et à la recherche;
– en attribuant aux universités du financement dédié directement à des missions approuvées par les plus hautes instances du gouvernement et en réduisant par le fait même l’autonomie financière de nos institutions.
Ne sommes-nous pas déjà en train de réduire cette liberté académique qui nous est chère?
Même si je n’ai pas un schéma extrêmement clair dans ma tête, je crois que les notions d’autonomie universitaire, de liberté académique et de collégialité sont liées et forment un tout indissociable. Si on veut défendre ces principes primordiaux, il faut demeurer vigilant devant la technocratisation universitaire et toute la lourdeur administrative qui en découle. Il faut surtout s’assurer que les ressources limitées de notre université soient principalement investies dans la mission première de l’institution plutôt que pour grossir un appareil administratif qui ne fera qu’ajouter à la complexité administrative.