L’UQAC au service d’une chambre de commerce ?

Michel Roche, professeur de science politique au Département des sciences humaines et sociales

Peut-être l’ignoriez-vous – nous n’avons reçu aucun courriel à cet effet de la part du service des communications – mais l’Université du Québec à Chicoutimi devient « ambassadrice du développement économique de la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le-Fjord ». Si vous voulez vérifier vous-même, vous n’avez qu’à cliquer sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=KMkfjWqXqss&ab_channel=Chambredecommerceetd%27industrieSaguenay-LeFjord.

S’agit-il du genre d’action pour lequel l’UQAC a créé le poste de vice-recteur aux partenariats ? Pour des partenariats avec quel genre d’organisation, au juste ? Qui a approuvé ce geste ? Le recteur intérimaire ? Le Conseil d’administration ?

Le site internet de la CCISF explique de façon limpide en quoi consiste le rôle d’ambassadeur du développement économique :

Les membres Ambassadeurs de la Chambre de commerce et d’industrie Saguenay-Le Fjord agissent à titre de partenaire en contribuant activement au rayonnement de notre organisation tout en appuyant de façon exceptionnelle les actions de leur Chambre de commerce.
Afin d’optimiser les prises de position de la CCISF, les membres Ambassadeurs font partie des comités sectoriels formés de gens de divers secteurs d’activités, dont les représentants de ces derniers sont contactés lorsqu’une réaction, en lien avec l’actualité, est nécessaire.

Comment est-il encore possible, en milieu universitaire, d’ignorer l’existence de divisions sociales sur la base d’intérêts économiques opposés ou divergents au point d’associer sans vergogne notre institution à un groupe de pression? Faudrait-il leur donner un cours d’introduction aux principes élémentaires de la réalité politique ? Associer ainsi une université à un lobby voué à la promotion d’intérêts commerciaux qu’on ne saurait confondre avec le bien commun constitue un sommet de vulgarité. Il n’existe aucune raison valable pour que des administrateurs se substituent au corps professoral et mettent le prestige intellectuel et scientifique de l’UQAC au service de tel ou tel groupe d’intérêt, qu’il soit patronal, syndical, environnemental ou autre. La Chambre de commerce et d’industrie de Saguenay-Le-Fjord n’est pas plus neutre sur les plans politique, économique, idéologique ou culturel que le Conseil du patronat du Québec, la Confédération des syndicats nationaux ou l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

La CCISF a pris position sur divers enjeux. On peut penser au projet GNL, appuyé par ce groupe d’intérêt, comme à bien d’autres tout aussi controversés et qui ont fait l’objet de débats. Comme « ambassadrice au développement économique », l’UQAC, volontairement ou non, s’y trouve associée. Elle devient instrumentalisée à des fins corporatives. Les professeurs d’université se prononcent fréquemment sur maints sujets, mais sur une base individuelle, syndicale (et donc comme groupe de pression) ou en tant que groupe de recherche. Dans certains cas, il s’agit d’opinions fondées sur des valeurs humanistes ou des a priori idéologiques qui témoignent de divisions sociopolitiques profondes (exemples : la laïcité, la question nationale, le conflit israélo-palestinien, les dépenses militaires). Dans d’autres, c’est à partir de recherches appliquant les critères de la science. Mais même dans ces cas, les analyses demeurent toujours discutables du fait qu’il existe des disciplines, des méthodes et des postures épistémologiques diversifiées qui ne feront jamais l’unanimité. Dans un tel contexte, les universités s’abstiennent d’intervenir dans les débats publics en tant qu’institutions et respectent la liberté académique de leurs enseignants. À ce sujet, on peut s’interroger sur la portée du nouveau rôle dévolu à l’UQAC comme « partenaire en contribuant activement au rayonnement » de la CCISF.

L’UQAC, c’est qui ? Se réduit-elle à ses hauts dirigeants ? N’inclut-elle pas son corps professoral ? Sans qu’on leur ait demandé la permission, les profs deviennent partie prenante de cet « ambassadeur collectif » associé à un type précis de développement économique dont il existe pourtant de multiples versions. N’y a-t-il pas là un enjeu du point de vue de la liberté académique ? Mais l’atteinte la plus évidente à ce principe qui fait débat actuellement réside dans la remise en cause de l’autonomie de l’université par rapport à des organisations extérieures. Au cours du dernier millénaire, les universités se sont battues pour qu’advienne cette autonomie, en premier lieu pour se détacher de l’emprise des religions institutionnalisées. Pourrions-nous imaginer aujourd’hui l’UQAC devenir « ambassadrice du développement spirituel de l’Église catholique romaine » ? Ce faisant, accepterions-nous d’être collectivement associés aux positions de l’Église sur diverses questions telles que l’avortement, l’homosexualité, la place des femmes ? Il est assez ironique que la personne qui s’exprime dans la vidéo présentée par la CCISF soit précisément le vice-recteur aux partenariats Alexandre Cloutier, récemment nommé par le gouvernement du Québec pour présider le « Comité d’experts sur la reconnaissance de la liberté académique ».

Il faut donc rappeler cette vérité élémentaire : l’UQAC est une institution universitaire. En aucune circonstance ne devrait-elle s’abaisser à devenir « ambassadrice » d’un groupe de pression et, ce faisant, lui apporter une caution morale. L’UQAC est une constituante de l’Université du Québec, créée par l’État et, à ce titre, tout autant que du point de vue de son prestige sur les plans scientifique et académique, elle doit, au moins en apparence, demeurer au-dessus de la mêlée.

La Correspondance

Une réflexion à propos de “L’UQAC au service d’une chambre de commerce ?

  1. Ça me semble outrepasser le fonctionnement d’une université. Il faut exercer une vigilance partout.

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