Martin Lavallière, professeur de kinésiologie au Département des sciences de la santé
Allons droit au but, marcher au Saguenay, ce n’est pas une activité sans danger. On pourrait peut-être même la suggérer comme sport extrême aux prochains Olympiques d’hiver avec les premières neiges qui sont tombées sur la région. On parlera peut-être même de décathlon hivernal compte tenu de l’entretien annoncé des trottoirs cet hiver qui ne sera pas bonifié.
Un bel exemple paru dans les médias s’offre à nous ! Une saga entourant les frais d’accès au nouveau stade de soccer pour pouvoir aller marcher. Tous y vont vu une raison de mettre leurs grains de sel sur les modèles mercantiles ou sociaux à mettre de l’avant pour favoriser l’utilisation et l’entretien de tels édifices ou comme un moyen pour favoriser l’activité physique auprès de la population qui en a grandement besoin face à la sédentarité actuelle de nos populations. Je suis kinésiologue de formation et je serai toujours en faveur de faire bouger les gens et de leur offrir un environnement favorable pour ce faire. Mais ce qui a attiré mon attention de chercheur en sécurité routière et en mobilité, c’est l’entrevue réalisée avec l’un des utilisateurs du nouveau stade.
De front, l’homme rapporte vouloir bouger et se maintenir en bonne santé, mais que le quartier où il habite ne permet pas de le faire de façon sécuritaire et ne comporte pas non plus d’infrastructures piétonnes satisfaisantes. Il embarque alors dans sa voiture, roule sa bosse, et va marcher au stade. Monsieur doit donc prendre sa voiture sur une bonne distance, pour venir marcher environ 5 kilomètres pendant une heure s’il a un pas rapide, pour ensuite reprendre la route pour rentrer chez lui. Autant de déplacements en voiture pour marcher, car on ne lui permet pas de le faire en sortant directement de chez lui, du fait de la dangerosité de notre ville dans son construit, et de nos comportements à toutes et tous comme automobilistes. Monsieur veut simplement marcher, prendre soin de lui-même; il devrait pouvoir le faire en profitant du quartier où il réside.
Dans un contexte similaire, le Service de Police de Saguenay lançait dernièrement une campagne de sensibilisation aux traverses piétonnières de la ville afin de rappeler aux automobilistes que la priorité n’est pas aux automobilistes sur ces passages, mais bien aux piétons. Des démarches du même ordre ont été réalisées à Saint-Bruno au début octobre. Ces campagnes rappellent qu’au-delà des traverses piétonnes, les conducteurs et conductrices n’ont pas une priorité absolue sur le réseau routier: la personne piétonne ou qui utilise le réseau routier autrement qu’en voiture a autant de droits que quiconque sur nos routes. C’est un partage de la route qui doit exister, peu importe la taille du moyen de transport que j’utilise. Même nos souliers et nos bottes d’hiver sont un moyen de transport.
Des démarches récentes entreprises par l’Association de mobilité durable de Saguenay (AMDS) et une campagne similaire pancanadienne (https://onmarcheonroule.org) quantifient les problématiques de notre environnement construit et des comportements dangereux des usagers de la route pour lesquels nous ressentions déjà un « gut feeling » de dangerosité ! Le tout est peu reluisant, on y dénote de nombreux problèmes de signalisation, d’accessibilité et d’entretiens négligés en plus de décrier des comportements dangereux chez les conducteurs et conductrices. Et le tout est en constante progression.
Ne vous méprenez pas, vous verrez sur la carte que ce fléau est présent partout dans la région (et d’un océan à l’autre). Par exemple, en l’absence de trottoir, il y a aussi souvent absence d’espace sur la chaussée pour permettre au piéton de marcher ou au vélo de rouler sans avoir à se déplacer vers le centre de la rue, ce qui rend plus complexe le partage sécuritaire de la route. Notre territoire fait face à une absence quasi complète de traverses piétonnières ou de feux pour piétons, et lorsque ces installations sont présentes, elles ne sont que très rarement respectées par les automobilistes. Et lorsqu’on a la chance d’avoir des trottoirs, ceux-ci sont malheureusement souvent mal adaptés (ex.: trop inclinés vers la rue, absence de montée et de descente aux croisées de rues) ou en trop mauvais état pour y circuler de façon sécuritaire avec une poussette ou un fauteuil roulant. Ces installations déficientes poussent systématiquement les usagers vulnérables vers la rue (et les véhicules y circulant) ce qui les expose automatiquement à un risque accru de collisions. Ils ne le font pas par volonté de gêner les déplacements en voiture, mais bien par obligation, faute d’un espace sécuritaire pour marcher ou pour rouler.
Une récente consultation de Piétons Québec réalisée auprès de la population et des élus de la région abonde dans le même sens. Sans surprise, nos élus n’identifient pas les aménagements comme problématiques… mais qui se jetterait soi-même la première pierre ? Toutefois, et comme l’affirme la population consultée, « les comportements des conducteurs et la culture [d’insécurité] routière sont les facteurs principaux nuisant à la sécurité des piétons. L’étalement urbain et l’environnement bâti existant combiné[s] à cette culture [d’insécurité] routière affligent nos déplacements à pied ou à vélo et les rendent insécuritaires dans la région ». Attention, je ne suis pas contre toutes les voitures – j’en possède une comme vous probablement – mais je suis contre le « tout à l’auto ».
Si l’on désire vraiment une transition durable vers les modes de transports actifs et alternatifs à ce « tout à l’auto », il faut en amont se doter d’infrastructures qui permettent de se déplacer à pied, à vélo ou avec une aide à la mobilité sans risquer sa vie à chaque coin de rue. Ces changements demandent toutefois du temps et des investissements sur notre réseau, dans nos villes et nos municipalités. Des réflexions sont actuellement en cours avec le Programme particulier d’urbanisme (PPU): soyons idéalistes pour notre ville et notre région. Certes, il faut être patient, mais assurons-nous de prévoir et de demander de tels investissements. Centrons nos villes autour des humains qui les habitent et non pas des voitures qui y circulent.
Au-delà du bâti, il faut surtout revoir notre tolérance face à l’insécurité routière qui nous entoure. Et ces changements peuvent se faire beaucoup plus rapidement et sans investissements majeurs. Il ne suffit pas de demander à nos instances une présence policière accrue sur le réseau pour donner des contraventions aux conducteurs en infraction. Il faut agir, comme population, vers des incitatifs à cette sécurité routière, pour la santé et la sécurité de toutes et tous. Une approche de bâtons et de carottes sera peut-être la meilleure avenue ! Réfléchir à nos déplacements et nos moyens de transport, prendre le temps de se déplacer, ne pas le faire dans l’urgence, et surtout prendre ce temps pour les autres. Car nos urgences de conduire (ou nos distractions au volant) sont en fait ce qui représente le principal danger pour les autres usagers de la route.
Pour le temps des Fêtes et à longueur d’année, offrons-nous toutes et tous, la sécurité dans nos déplacements !