Martine Peters, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais / Directrice du Partenariat universitaire sur la prévention du plagiat (PUPP)
Comme professeurs, nous demandons régulièrement à nos étudiants d’effectuer des travaux qui exigent une recherche d’information, que ce soit sur le web, dans les bases de données ou encore dans divers documents en bibliothèque. Vu cette énorme quantité d’informations à portée de la main, de nombreux étudiants sont parfois tentés par le copier-coller, qui les entraine dans le plagiat. Comment faire pour que les étudiants ne cèdent pas à la tentation de la facilité qui les amène parfois à plagier? Quels sont les stratégies pédagogiques dont nous disposons, nous, professeurs ou chargés de cours, pour amener nos étudiants à adopter des pratiques plus intègres?
En établissant clairement nos exigences, nos consignes et nos critères d’évaluation, nous pouvons rendre le plagiat beaucoup plus difficile pour nos étudiants. La meilleure façon d’instaurer cette approche préventive, c’est de reformuler nos consignes en aiguillant nos étudiants vers une créativité à leur niveau.
Originalité ou créativité chez nos étudiants
Lorsque nous corrigeons les travaux de nos étudiants, avons-nous des attentes en termes d’originalité ou de créativité? Johnson-Eilola et Selber (2007), deux chercheurs dans le domaine de la communication, ont publié un excellent article intitulé Plagiarism, originality, assemblage, où ils affirment que « le phénomène du plagiat est encore très lié à l’idée du génie solitaire et créatif. Ainsi, certaines pressions sociales font en sorte que les étudiants croient qu’un texte contenant des citations et des paraphrases provenant d’autres auteurs sera moins valorisé qu’un texte original qu’ils auront rédigé, une situation qui les amène à cacher leurs sources, à plagier » (traduction libre, p. 378).
Or, nos étudiants universitaires, encore plus ceux du premier cycle, sont en processus d’apprentissage et encore en train de développer leurs compétences et leurs connaissances. C’est la raison pour laquelle ils sont encore sur les bancs d’école. Est-ce réaliste d’exiger un texte original d’étudiants encore en apprentissage?
D’après Acar, Burnett et Cabra (2017), l’originalité se définit comme une idée, une pensée, une vision rare, nouvelle, inhabituelle, inusitée et unique. C’est donc un objectif trop ambitieux pour un travail étudiant. Ces mêmes auteurs offrent trois caractéristiques de la créativité qui démontre qu’elle peut être plus facilement accessible aux étudiants. La créativité est utile, elle a une valeur et elle est appropriée (Acar et al., 2017). Pour des étudiants en formation, l’idée de faire des travaux utiles, appropriés pour leur profession leur confèrent une valeur, élément non négligeable pour la motivation quand vient le temps de s’engager dans la rédaction de travaux.
Dans la taxonomie de Bloom, créer est le dernier échelon sur l’échelle d’objectifs éducatifs, donc le niveau de difficulté le plus élevé après la mémorisation, la compréhension, l’application, l’analyse et l’évaluation (Bloom, 1956). Cette taxonomie a été révisée (Anderson et al., 2001), entre autres, pour y intégrer l’importance de développer la pensée la pensée critique et l’esprit créatif, compétences considérées comme essentielle à la formation des citoyens en devenir. De nouveaux verbes ont été associées à la création comme par exemple : justifier et défendre sa position, compiler, comparer, interpréter des informations de façon cohérente et nouvelle (Anderson et al., 2001; Wilson, 2016). Ainsi, dans la taxonomie révisée, la créativité est beaucoup plus multidimensionnelle. Dans un contexte universitaire, c’est au professeur de déterminer quelle(s) dimension(s), de la créativité ou quel aspect de celle-ci il exigera dans un travail étudiant.
Consignes pour stimuler la créativité, l’engagement et l’intégrité
Voici deux versions de consignes données par le professeur pour un même travail. Comme vous le constaterez, le contenu des consignes est important, car selon la teneur de la consigne, elle peut faciliter le plagiat ou au contraire, favoriser la créativité et l’intégrité chez les étudiants. Pour les deux travaux cités en exemple ci-dessous, la production finale est la même : les étudiants présentent leur vision de l’éducation, un travail fréquemment demandé en première année de la formation en enseignement.
Consignes données pour la version 1 du travail : Rédige un texte de 500 mots sur ta vision de l’éducation. Justifie-la en utilisant les théories vues en classe.
Le problème des consignes données ici par le professeur, c’est que le travail est souvent demandé et que les étudiants peuvent « s’inspirer » des travaux de leurs camarades des années précédentes ou encore des innombrables visions de l’éducation qui sont disponibles gratuitement sur des moteurs de recherche Google. Une recherche rapide démontre à quel point il est facile et rapide pour les étudiants de trouver sur le web des idées en lien avec ce sujet.
Selon les consignes données pour la version 1 du travail, les étudiants peuvent se retrouver en panne d’idées puisque tout semble déjà avoir été écrit sur le sujet, et souvent, de façon bien plus articulée que ce que pourraient faire les étudiants. Dans un tel contexte et avec une telle surabondance d’informations, il est très difficile d’être créatif. C’est donc très tentant d’avoir recours au plagiat.
Les critères d’évaluation pour ce travail pourraient être basés sur la qualité de la rédaction et des justifications offertes en lien avec les théories. Le critère d’originalité pourrait aussi servir puisque les étudiants doivent rédiger leur propre vision qui doit être différente, unique de celles des autres.
Consignes données pour la version 2 du travail : Trouve sur le web trois ou quatre visions différentes de l’éducation. Identifie les idées avec lesquelles tu es d’accord. Rédige un texte de 500 mots, expliquant pourquoi ces idées t’interpellent et fais des liens avec tes expériences personnelles et les théories vues en classe. N’oublie pas de donner tes références en bibliographie.
Dans cet type de travail demandé, les étudiants ont beaucoup moins de pression pour créer un texte unique avec une pensée originale. Dans cette approche, non seulement il est possible pour les étudiants de « s’inspirer » d’autres auteurs, c’est même obligatoire. Dans ce contexte, le plagiat est beaucoup moins évident et surtout moins possible. Les étudiants feront preuve de créativité pour ce travail, autant et peut-être même plus que dans la version 1 du travail, puisqu’ils devront comparer des visions, les interpréter pour ensuite choisir et justifier ce qui est plus pertinent pour eux en fonction de leurs expériences personnelles et des théories apprises en classe. L’exigence des expériences personnelles permet aux étudiants de faire des liens avec ce qu’ils connaissent. Finalement, les étudiants sont aussi dans l’obligation de fournir leurs sources puisque les consignes exigent qu’ils se basent sur des textes d’autres auteurs et qu’elles contiennent un rappel d’inclure une bibliographie.
Comme pour la version 1 du travail, les critères d’évaluation pour la version 2 pourraient également être basés sur la qualité de la rédaction et des justifications offertes en lien avec les théories. Cependant, l’originalité n’est plus un critère de correction, puisque les étudiants n’ont pas à produire un texte présentant des idées nouvelles. Le critère d’évaluation du professeur est plutôt la créativité telle que redéfinie par Anderson et al. (2001), c’est-à-dire la façon dont les étudiants ont combiné et comparé les différentes visions, ont réussi à se les approprier en y apportant leurs propres expériences et leur interprétation des théories vues en classe. Le dernier critère d’évaluation porterait sur l’intégrité du travail puisque les étudiants doivent « rendre à César ce qui appartient à César » en citant leurs sources. En incluant cette exigence dans les consignes, le professeur indique clairement aux étudiants qu’il met de l’importance au référencement documentaire puisqu’il donne un pourcentage de la note les références sont inclues dans le travail.
Conclusion
Avec ce court texte, j’espère vous avoir inspiré à revoir vos exigences (sans les diminuer!), vos consignes et vos critères d’évaluation Le but ici n’est pas de tout chambouler votre pédagogie ou d’alourdir votre tâche de correction mais plutôt d’offrir à vos étudiants de réaliser des travaux qui leur permettront de rédiger avec créativité et intégrité grâce à des consignes qui les encouragent à développer leur pensée critique et à utiliser de façon intègre les informations qu’ils recueillent sur le web ou à la bibliothèque, en citant leurs sources, évidemment!
Références
Acar, S., Burnett, C. et Cabra, J. F. (2017). Ingredients of creativity: Originality and more. Creativity Research Journal, 29(2), 133-144.
Anderson, L. W., Krathwohl, D. R., Airasian, P. W., Cruikshank, K. A., Mayer, R. E., Pintrich, P. R., . . . Wittrock, M. C. (2001). A taxonomy for learning, teaching, and assessing: A revision of Bloom’s taxonomy of educational objectives, Abridged Edition. Longman.
Bloom, B. (1956). Taxonomy of educational objectives: The classification of educational goals — Handbook 1 Cognifive domain. David McKay.
Johnson-Eilola, J. et Selber, S. A. (2007). Plagiarism, originality, assemblage. Computers and Composition, 24(4), 375-403.
Wilson, L. O. (2016). Anderson and Krathwohl–Bloom’s taxonomy revised. Understanding the New Version of Bloom’s Taxonomy.