Qui es-tu Annie Dumont?

La Correspondance: Pour commencer cette entrevue, simplement, qui es-tu Annie Dumont?

Annie Dumont: Je suis professeure à l’Unité d’enseignement en travail social au Département des sciences humaines et sociales, depuis le 1er décembre 2021. Je travaille en particulier sur les questions de la transition à la vie adulte.

Je suis aussi la maman de deux garçons de 10 et 13 ans, qui ont tous les deux, à leur façon, un esprit critique et un sens de l’humour qui me rendent à la fois fière et me désarçonnent lorsque c’est moi qui en fais les frais.

Enfin, je suis originaire d’un (très) petit village tout près de Rivière-du-Loup, dans le Bas-St-Laurent et j’apprends tout doucement à connaitre la belle région du Saguenay.

Quels événements de ta carrière ont été les plus inattendus?

Ma carrière est une suite d’inattendus! Ma trajectoire professionnelle est parsemée de points tournants qui m’ont amené là où je suis aujourd’hui.

Au départ, je souhaitais être travailleuse sociale auprès des jeunes. Cet intérêt m’a amenée, après mon baccalauréat, à avoir un emploi en tant qu’intervenante jeunesse en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence et en difficulté pendant un peu plus de 5 ans. J’y ai été sensibilisée aux violences faites aux femmes, à l’approche féministe et, plus particulièrement, aux conséquences de la violence conjugale sur les jeunes.

Alors que mes cours d’initiation à la recherche au baccalauréat ne m’avaient laissé qu’un vague souvenir d’ennui, le travail sur le terrain m’a amené à me poser des questions auxquelles je n’avais pas les réponses. J’ai donc profité d’un premier congé de maternité pour retourner aux études et compléter ma maitrise, juste pour voir si finalement, j’aimais la recherche. J’ai alors eu l’occasion de m’impliquer dans des projets et de faire partie d’un centre s’intéressant à la violence conjugale. Cela m’a permis de vraiment avoir la piqure et, après la maitrise et le doctorat en travail social à l’Université Laval, j’ai poursuivi mes études au postdoctorat en psychoéducation à l’Université de Sherbrooke.

Entre-temps, mes intérêts de recherche ont évolué. Mon projet de thèse s’intéressait au sens donné à la violence conjugale par de jeunes adultes ayant grandi dans un milieu où cette problématique était présente. Aujourd’hui, je m’intéresse de façon plus large à la transition à la vie adulte de tous les jeunes qui présentent un parcours de vie marqué par des adversités.

Si tu dis que ta carrière est une suite d’inattendus, c’est que tu n’avais pas prévu, dans ton plan de carrière, être professeure universitaire?

Non, en effet! Lorsque j’ai commencé mon baccalauréat, je ne pensais pas que, 22 ans plus tard, je travaillerais maintenant à former de futur.es travailleuses sociales et travailleurs sociaux (TS). Je dirais par contre que c’est une situation qui fait beaucoup de sens pour moi : contribuer à ce qu’il y ait, chaque année, sur le terrain, une nouvelle cohorte de TS agissant afin d’améliorer les conditions de vie des personnes les plus vulnérables.

Annie Dumont devant le  Tennessee Woman Suffrage Monument, à Nashville

De me laisser guider à travers ces situations inattendues a donc eu beaucoup de positif. Je suis quelqu’un qui fait confiance à ce qui peut arriver et qui n’est pas prévu (cet état d’esprit a d’ailleurs influencé l’un de mes tatouages!), et j’ai hâte de voir ce qui se présentera à moi dans les prochaines années.

Tu as parlé de tes intérêts de recherche, mais sous quel angle abordes-tu les questions de la transition à la vie adulte?

Dans mes projets de recherche, j’adopte majoritairement une approche qualitative, parce que je m’intéresse au sens que les jeunes donnent à leur vécu, à leur histoire, à ce qui motive leurs décisions et leurs actions. Avec les années, c’est d’ailleurs une expression qui est entrée dans mon vocabulaire du quotidien. Je vais souvent nommer aux gens autour de moi, lorsque je leur demande quelque chose par exemple, de prendre leur décision en fonction de ce qui fait « le plus de sens pour eux ».

En d’autres mots, je m’intéresse à l’agentivité des jeunes qui amorcent leur transition à la vie adulte, à leur façon d’être des acteurs.actrices de leur parcours de vie. Par contre, si les décisions et les actions des jeunes adultes sont entre autres motivées par ce qui fait du sens pour elles et eux, il n’en demeure pas moins que cette agentivité reste balisée (bounded agency) par le contexte dans lequel chacun.e de ces jeunes évolue. Malheureusement, ces balises sont plus rigides et contraignantes pour les personnes en situation de vulnérabilité, soit parce qu’on ne met pas à leur disposition les ressources nécessaires pour poser les actions qu’ils.elles voudraient poser, soit parce qu’ils.elles n’ont pas eu la chance de développer les capacités dont ils.elles auraient eu besoin ou, finalement, parce que la structure dans laquelle ils.elles évoluent ne permet pas une réelle équité en fonction de leurs caractéristiques personnelles (ex : sexe, genre, âge, origine, handicap).

Évidemment, et je crois que cela s’entend dans ma réponse, les valeurs propres au travail social sont sous-jacentes à mes projets, qu’on pense à la croyance en l’autodétermination des individus, le respect ou la justice sociale, par exemple.

On parle beaucoup de tes projets de recherche, mais parle-nous un peu de ton travail d’enseignante. Comment tu abordes cette facette de la tâche de professeure?

De la même façon, en tout cas j’essaie le plus possible. Lorsque j’enseigne, j’ai devant moi des jeunes qui, pour la plupart, sont justement dans cette transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Mes recherches antérieures m’ont démontré que ce n’est pas parce qu’ils.elles sont à l’université qu’ils.elles sont moins susceptibles de vivre des difficultés à cette étape.

Dans mon enseignement, j’essaie donc d’être à l’écoute de ce qui fait le plus de sens (encore!) pour eux et elles quant à la façon de faire les apprentissages. Paradoxalement, dans notre profession, on leur demande de développer leur identité de TS alors qu’ils.elles en sont encore à développer leur identité personnelle. De les accompagner dans cette étape de leur vie est un privilège.

Pour finir, aurais-tu une anecdote en lien avec tes réalisations professionnelles ?

Lorsque j’étais au postdoctorat, j’ai eu la chance d’avoir un cours sur la rédaction d’article scientifique. Comme ce cours s’adressait à tous les étudiant.es du doctorat et du postdoctorat, tous les domaines d’étude étaient représentés et j’étais l’une des seules étudiantes en sciences sociales et qui faisait de la recherche qualitative. Alors qu’on nous apprenait à choisir des titres d’articles sérieux et précis, j’ai plutôt fait le choix d’utiliser une citation d’une des participantes de l’étude sur laquelle portait l’article en guise de titre, ce qui a donné : “I had a shitty past, I want a great future.”: Hopes and fears of vulnerable adolescent girls on the verge of leaving care. J’aimais bien ce titre punché, et je trouvais très drôle de voir le professeur du cours de rédaction sourciller à chaque fois que ces yeux tombaient sur le « gros mot » qu’il contenait.

Je tiens à préciser que l’article a été publié dans la revue Children and Youth Services Review et si, bien évidemment, certaines modifications de l’article ont été demandées par les réviseurs avant la publication, le titre n’en a jamais fait partie 😊.

La Correspondance

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