Correspondance: Commençons avec LA question : qui es-tu Brice ?
Brice Favier-Ambrosini: Je suis professeur au Département des sciences de l’éducation depuis 2021 où je suis spécialiste en éducation physique et à la santé (ÉPS). J’ai réalisé un doctorat en sciences de l’activité physique à l’Université Paris-Est en France, et cela fait quatre ans que je vis au Québec où j’ai entamé un postdoctorat au Département des sciences de l’activité physique de l’UQAM avant de rejoindre l’UQAC. Je suis également chercheur associé au Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Formation et la Profession Enseignante (CRIFPE). Mes recherches portent sur deux volets :
• L’expérience vécue des enseignants et des élèves en ÉPS ainsi que des pratiquants de loisirs sportifs
• Les dispositifs et l’expertise enseignante en éducation à la santé.
Comment expliques-tu ton travail à tes amis non-universitaires ?
Disons que j’essaye d’expliquer que globalement je fais trois choses dans mon travail :
• Je fais de la recherche pour comprendre un peu mieux l’enseignement de l’ÉPS, les politiques d’éducation à la santé ainsi que l’expérience vécue des pratiquants de loisirs sportifs ;
• J’enseigne aux étudiants au baccalauréat en ÉPS une partie de leur futur métier tout en formant des étudiants au 2ème cycle à s’initier au métier de chercheur ;
• J’assume un ensemble de fonctions nécessaires au bon fonctionnement de mon université ainsi que de la communauté professionnelle dans laquelle je m’inscris.
C’est important pour toi de parler de tout ça ?
Oui. J’essaye systématiquement d’insister sur ces trois volets de la tâche de professeur car je pense important que mon entourage comprenne que mes fonctions ne consistent pas seulement à faire de la recherche ou à enseigner, mais bien à réaliser ces trois volets.
C’est vrai que ce n’est pas toujours clair pour les non-initiés ! Concernant ton travail et tes études, quel est le plus grand défi que tu as eu à relever dans ton travail?
Difficile de répondre à cette question tant les défis sont toujours vécus comme étant grands et difficiles au moment où je m’y confronte. Synthétiquement je pense que l’accomplissement de ma thèse de doctorat fut surement le défi le plus important dans mon activité professionnelle. Il s’agissait d’un travail ambitieux commencé en France et terminé au Québec sur 5 années de doctorat. Terminer ce projet fut difficile et donc je suis assez fier. L’accès au terrain d’enquête était complexe si bien que le défi était bien présent !
Complexe, dans quel sens ?
Eh bien, je travaillais sur la question de l’éducation à la santé par les activités physiques dans des dispositifs intersectoriels novateurs en France à cette époque, dans le cadre d’une nouvelle orientation des politiques publiques nationales du secteur. De forts enjeux de concurrences en termes de définition de territoires professionnels étaient présents et en cours de réglementation au niveau étatique, si bien que l’accès aux données fut ardu. J’ai ainsi appris, parfois au prix d’échecs, à présenter la méthode scientifique auprès de professionnels aux prises avec des enjeux stratégiques importants et qui étaient, parfois, réticents à se livrer quant à leurs actions en termes d’éducation à la santé.
C’est vrai que ça peut être un défi de présenter la pertinence de nos recherches aux personnes du terrain. Et donc tu en as tiré des apprentissages ?
Oui ! Mais il y avait aussi une complexité au niveau théorique. En effet, j’ai essayé de m’inscrire dans une approche plurielle mais cohérente et rigoureuse sur le plan épistémologique. Cette ambition a ainsi rendu complexe l’analyse des données tout en gardant une exigence théorique plurielle et complémentaire. C’est donc à toutes les étapes de la démarche scientifique que cette thèse de doctorat fut pleine de défis et que j’estime que sa réalisation a été challenge important à relever.
Félicitations alors ! Et maintenant, au plan professionnel toujours, qu’est-ce que tu fais de vraiment original?
L’originalité de mes travaux s’inscrit à différents niveaux mais je ne vais ici présenter qu’un aspect qui concerne les démarches méthodologiques et épistémologiques que j’emploie. En effet sur les différents objets de recherche que j’investis, j’essaye de poser un regard phénoménologique sur le sens que les personnes étudiées donnent à leur activité, sans toutefois sacrifier l’analyse des déterminants sociologiques influents sur ces actions. C’est ainsi le croisement entre une sociologie et une phénoménologie qui donne une originalité à mes travaux.
OK… et concrètement, ça veut dire quoi?
Ha! Ha! Ha! Pour donner un exemple concret, je mène actuellement une recherche financée par le CRSH qui concerne l’étude de l’expérience vécue des sportifs amateurs de course à pied utilisant des outils technologiques de quantification de soi (montres connectées et applications). L’originalité consiste à s’intéresser à l’expérience vécue, c’est-à-dire aux émotions, perceptions, sensations et intentions des personnes en temps réel lors de leurs séances de course à pied, tout en prenant en compte leurs dispositions sociales.
Super intéressant! Tu parles à un adepte de gadgets ici! Et je sais que je ne suis pas le seul prof à user et abuser un peu de ces technologies… Comment se déroule ton enquête?
Sur le plan méthodologique, les enquêtés sont invités à verbaliser en temps réel, pendant la course, leur expérience vécue lors d’une séance avec outils de quantification numériques et lors d’une course sans outils. Cela nous permet d’avoir accès au vécu subjectif des personnes, puis nous complétons le dispositif par un entretien sociologique semi-dirigé classique pour avoir accès aux dispositions sociales. L’analyse vise alors à croiser ces différents matériaux empiriques afin de produire une socio-phénoménologie de la course à pied quantifiée. Cette approche est relativement novatrice dans le champ d’étude concerné et permet de documenter des stratégies d’utilisation des outils de quantification dont les personnes se servent pour assurer la qualité de leurs expériences sportives vécues.
Ça a l’air très novateur en effet! Est-ce que tu as déjà dégagé des constats intéressants?
Oui, je pense. Les résultats m’ont par exemple permis d’identifier certaines stratégies tacites d’utilisation des objets connectés en course à pied, lesquelles permettaient de ne pas subir une dégradation de l’expérience par lesdits objets. Cela m’a alors permis, avec certains collègues, de conceptualiser des stratégies didactiques et pédagogiques de l’apprentissage de l’utilisation des outils numériques de quantification de soi en ÉPS, afin que les élèves développent des usages non nuisibles à la qualité de leurs expériences physiques et sportives ainsi qu’un regard critique sur ces outils.
Ça va faire des belles publications ! À ce propos est-ce que tu as déjà reçu des commentaires ou des refus énervants, voire humiliants, suite à des soumissions de publication ?
J’ai effectivement vécu quelques refus de publication en recherche par exemple, mais j’ai souvent eu la chance de tomber sur des experts qui ont argumenté professionnellement leurs refus et je dois avouer que cela a très souvent permis d’améliorer la qualité de mes recherches.
Il m’est toutefois arrivé une fois, en particulier, de recevoir un refus de publication sans expertise détaillée, ce qui m’a profondément déçu. Il s’agissait d’un article portant sur une analyse didactique des approches contemporaines de l’enseignement et de la pratique de la musculation en ÉPS ainsi que dans le champ des loisirs sportifs. Si l’analyse était en effet perfectible, j’ai reçu une expertise avec une argumentation très sommaire de quelques lignes n’expliquant pas ce refus. J’ai ressenti une forme de découragement après autant de travail pour produire cet article et après avoir attendu cinq mois que l’expertise soit réalisée. Dans ce cas précis de refus sans argumentation détaillée, j’ai été très surpris par ce que j’ai interprété comme un manque de considération envers mon travail.
Je comprends…
Pour autant, cette expérience fut formatrice pour moi car, maintenant que c’est à mon tour d’expertiser des articles, je considère que si j’accepte de le faire, c’est que j’en ai le temps et que je suis capable d’argumenter mon avis afin de permettre à l’auteur de le comprendre en vue d’une amélioration de sa recherche et in fine, de la connaissance.
C’est tout à ton honneur. Autre question, toujours au plan professionnel : quels sont les hasards ou les chances auxquelles tu dois les plus belles orientations dans ton travail?
Sans aucune hésitation, il s’agit du hasard des rencontres que j’ai pu faire tout au long de mon cheminement professionnel et qui ont permis de nourrir tout à la fois des amitiés et des collaborations de recherche. Par exemple, alors que j’étais doctorant en France, je suis allé présenter mes travaux dans un colloque à Taïwan. Lors de cet évènement, j’ai fait la connaissance d’un professeur de l’UQAM, Tegwen Gadais, qui, quelques années plus tard est devenu mon superviseur de postdoctorat, puis un collègue de travail avec qui je mène actuellement mes recherches. Cette rencontre a également facilité la rencontre d’autres amis qui sont aussi devenus des collègues de travail tel que Nicolas Moreau, professeur à l’Université d’Ottawa et Florence Vinit, professeure à l’UQAM avec qui je mène la recherche sur la course à pied quantifiée expliquée plus haut. Ces rencontres m’ont également permis, à mon arrivée au Québec, de coordonner Le RESEAU – pour un développement psychosocial par le sport et le plein air qui m’a fait rencontrer l’ensemble des acteurs, chercheurs et praticiens, s’intéressant à l’utilisation du sport et du plein-air comme outil de développement psychosocial.
Tu es un gars de réseau donc ! Maintenant, une question au plan personnel : quel est un défi – ou LE défi – que tu souhaiterais relever ?
Explorer! Étant un grand amateur, depuis l’enfance, des récits de voyages des écrivains voyageurs et des explorateurs, j’ai développé un grand intérêt pour les activités de plein-air. Ainsi, j’ai réalisé plusieurs longues expéditions dans les zones sauvages du nord de l’Europe, mais j’ai toujours rêvé d’explorer le nord du Québec. En habitant au Saguenay – Lac-Saint-Jean, je me suis rapproché de mon rêve et j’espère bien réaliser quelques expéditions estivales et hivernales, à pied ou en skis, avant la retraite !
Beau projet! Et sinon, d’un point de vue plus pragmatique : qu’est-ce que tu appréhendes le plus au cours des prochaines années?
Ma plus grande appréhension pour les prochaines années est d’arriver à doser la quantité de travail pour assumer mes tâches professionnelles sans que cela nuise à ma vie personnelle. La tâche de professeur est objectivement importante en termes de quantité de travail, notamment en début de carrière et mon appréhension est de ne pas réussir à trouver l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Pour cela, même si je n’ai pas encore réellement réussi pour l’instant, j’espère à terme m’inscrire dans des horaires de travail plus raisonnables. Mon fort attrait pour le plein-air et les activités physiques et sportives qui y sont liées devrait m’aider sur ce chemin !
Pour terminer, une question rétrospective qui pourrait être utile aux personnes qui sont en début de carrière ou qui sont encore aux études : qu’est-ce que tu aurais aimé qu’on te dise au début de tes études ?
Beaucoup de choses! Mais peut-être une en particulier. Mon parcours est atypique dans la mesure où, formé en France, je n’aurais jamais imaginé assumer un jour les fonctions de professeur au Saguenay – Lac-Saint-Jean. La décision de changer de continent et de pays ne fut pas évidente à vivre sur le plan affectif car je n’étais pas préparé à comprendre que cela était possible. Ainsi, j’aurais aimé que l’on m’explique, au début de mes études, que l’avenir professionnel en matière académique peut tout à fait être possible dans un pays différent que celui de nos études initiales.
Eh bien, on va souhaiter que ce message puisse servir. Merci beaucoup pour cette participation à cette chronique et bonne poursuite !
Merci à vous!