Correspondance: Bonjour Monsieur Kiss, merci de nous offrir cette occasion de mieux vous connaître alors que vous venez de prendre votre retraite de l’UQAC.
László Kiss: Merci à vous. Je ne suis pas très habitué à parler de moi-même…
Alors commençons par votre travail. Présentez-nous brièvement votre parcours universitaire : sur quoi travaillez-vous ?
Ma carrière académique est composée de deux grandes périodes : une en Hongrie, dans mon pays natal, et une deuxième, au Québec, mon pays adoptif. En 1968, une semaine après l’examen d’état (examen final compréhensif, combiné avec la défense d’un mémoire) je suis entré au Département d’énergétique, comme professeur assistant.
J’ai gravi tous les échelons, jusqu’à obtenir le titre de professeur agrégé (« dozent univ »). Puis, en 1989 je suis arrivé à l’UQAC pour une année sabbatique. Avec cette décision, une deuxième carrière a commencé pour moi. Une qui est maintenant plus longue que celle réalisée dans mon pays natal, la Hongrie.

Et sur quoi travailliez-vous à ce moment-là?
L’essentiel de mes travaux de recherche a toujours été axé sur la thermodynamique, ainsi que le transfert de chaleur et de masse. Les applications ont couvert des domaines parfois lointains, en énergétique et en métallurgie de l’aluminium. J’ai également mené des projets dans les domaines du génie nucléaire et solaire, dans la production d’aluminium primaire et le traitement du métal liquide.
Au cours des 20 dernières années, mon travail de recherche s’est tourné vers la production d’aluminium primaire et notamment une meilleure maitrise de la technologie de l’électrolyse. Plus précisément, ici, à l’UQAC, j’ai piloté d’importants projets sur la dynamique de la couche gazeuse, sur la formation de la gelée protectrice et sur la cinétique de dissolution d’alumine.
De quoi êtes-vous le plus fier dans votre travail?
J’ai toujours eu l’enseignement à cœur soit à des groupes-classe, soit sous une forme plus personnalisée. J’ai dirigé et encadré 26 étudiants de doctorat et 52 étudiants de maîtrise, sans compter les plus que centaine de stagiaires et assistants de recherche.
Même si j’ai de belles réussites en recherche, ce dont je suis le plus fier, ce sont mes étudiants. Je trouve l’approche personnalisée particulièrement importante en éducation. Depuis le début de ma carrière universitaire, il y a un demi-siècle, j’ai recruté de jeunes talents autour de moi; puis je les ai suivis et aidés dans leur progression professionnelle et humaine. Beaucoup d’entre eux sont devenus mes amis avec qui je garde des liens malgré les décennies. Il me fait chaud au cœur de voir mes anciens étudiants occuper des postes prestigieux aux quatre coins du monde.
Ma plus belle période en enseignement en classe a été en Hongrie, entre 1978 et 1989. Le conseil du module « ingénieur-mathématicien », alors nouvellement créé, m’avait mandaté pour dispenser les cours « Thermodynamique » et « Transfert de chaleur » à ce groupe très sélect d’étudiants. En effet, ces étudiants avaient été minutieusement « hand-picked » parmi les meilleurs de leur cohorte. Je leur ai enseigné environ 6 à 8 heures par semaine. Cette formation m’a permis d’enseigner ces deux cours à un niveau très avancé.
Et au plan scientifique?
Au niveau de la science, je pense que certaines de mes idées et initiatives sont originales. J’ai introduit de nouveaux concepts dans le diagnostic thermique, dans la théorie et la pratique des mesures thermophysiques, dans la compréhension des mécanismes thermofluides de l’électrolyse de l’aluminium. Comme exemple, je peux mentionner que j’ai initié et dirigé le développement d’un simulateur de la dynamique des bulles dans la cuve d’électrolyse d’aluminium. C’est un outil mathématique – une première au monde – qui permet de prédire l’amplitude et le spectre des fluctuations de voltage à partir des paramètres de design et d’opération.
Tout long de ma carrière j’ai toujours combiné l’approche théorique la plus rigoureuse avec l’effort d’obtenir des applications pratiques. Au total, je suis auteur ou coauteur de 11 brevets, dont 6 ont été introduits commercialement.

Je suis également fier de mes activités de développement des laboratoires en Hongrie et ici, à l’UQAC. À l’Université Technique de Budapest j’ai initié, créé et dirigé pendant 9 ans le Laboratoire de Thermophysique, dont les collaborateurs ont été mes premiers étudiants.
Quand je suis arrivé ici à l’UQAC, j’ai trouvé les germes du Laboratoire du GRIPS et j’ai accompagné son évolution jusqu’à maintenant et sa reconnaissance internationale.
Quels événements de votre carrière ont été les plus inattendus?
Avant mes études d’ingénieur à l’Université Technique de Budapest en génie mécanique, j’avais obtenu un diplôme en instrumentation optique et électronique et je rêvais de poursuivre une carrière dans ce domaine. Mais ma rencontre avec les mathématiques avancées, la thermodynamique et la théorie des procédés de transport m’a amené à changer radicalement mon orientation vers le génie thermique et énergétique.
Mais la tournure la plus inattendue de ma vie a été le changement de pays. Ma venue ici a été le résultat de rencontres et de visites avec certains professeurs de l’UQAC, comme les professeurs André Charette et Adam Nagy. Leur invitation, à laquelle j’ai répondu en 1989, a radicalement transformé ma vie : j’ai changé le domaine d’application de mes connaissances en énergétique classique et solaire pour m’orienter vers la recherche de solutions aux problèmes de métallurgie de l’aluminium. De plus, j’ai dû apprendre une nouvelle langue…
Quels sont les hasards ou les chances auxquelles vous devez les plus belles orientations/réalisations dans votre travail?
Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai changé ma carrière d’instrumentation optoélectronique vers l’ingénierie des équipements et procédés énergétiques. J’avais d’ailleurs eu un petit pincement au cœur en quittant mon premier amour professionnel. Mais, un an après mes débuts en génie thermique, une occasion parfaitement inattendue est arrivée. En effet, notre laboratoire a reçu une donation de plusieurs composantes optiques dont l’utilisation dépassait le champ de compétence de mes confrères. Mes habiletés en optique m’ont permis de développer un premier système diagnostique pour étudier le transfert de chaleur et de combustion. Et ce modèle a été suivi par bien d’autres. Cette occasion a donné un « jump-start » à ma recherche.

Une autre tournure importante est arrivée au début de ma « deuxième carrière » ici, à l’UQAC. J’ai commencé à plonger dans les détails de la physique des cuves d’électrolyse d’aluminium et j’ai alors réalisé l’importance particulière que les bulles de CO2 jouent dans les pertes énergétiques et dans la stabilité d’opération. Dans cette situation, un des projets que j’ai menés sur l’ébullition dans les réacteurs nucléaires m’a donné les idées et méthodes pour lancer une recherche qui a connu un grand succès. Sans mon expérience préalable, le passage des réacteurs nucléaires aux cuves d’électrolyse d’aluminium n’aurait pas été possible.
Quelles ont été ou sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face en début de carrière ?
J’ai commencé ma carrière dans un autre pays, sous des conditions socio-économiques complètement différentes de celles de l’Amérique de Nord. Là-bas, on avait un système d’éducation très bon, fort en mathématiques et en sciences naturelles. Mais la structure du système scolaire et de la qualification scientifique était très différente. On n’avait pas la triade de bachelier-maitrise-doctorat et nous n’avions pas non plus le système de formation des PhDs que l’on connaît ici. J’ai complété mon projet de CSc (approximativement un équivalent à PhD) en très grande partie par moi-même, sans vraie direction scientifique. L’Académie ès sciences a joué un rôle très important dans cette réussite. Il n’y avait pas la pression pour les publications et quand on publiait, c’était fréquemment à l’intérieur du pays, en hongrois. J’ai été chanceux, car avec la libéralisation politique graduelle de la Hongrie et grâce à ma maitrise des langues, j’ai réussi à créer des contacts scientifiques internationaux – même hors du Bloc de l’Est.
Ce que vous referiez différemment?
Avec ce que je sais aujourd’hui, j’aurais changé ma façon d’agir au début de ma carrière en Hongrie : cultiver plus intensivement les coopérations internationales, publier plus dans les journaux internationaux. Naturellement, ma génération, avant 1989, a dû respecter les contraintes d’alors et nous avons dû nous adapter à ce qu’il était possible de faire à ce moment-là.
Vous avez eu une carrière bien remplie, mais la retraite ne signifie pas forcément la fin de tous projets. Que prévoyez-vous faire et quels sont vos projets?
Je suis heureux, car la suite de mes recherches du projet RDCell-II est bien assurée. J’ai une excellente relève : le professeur Lukas Dion, que je connais depuis 10 ans. Nous travaillons étroitement ensemble depuis un an et nous avons réussi à obtenir un nouveau projet Alliance pour les 5 prochaines années. Je participe activement à ce projet comme Codemandeur et je continue de superviser des étudiants au doctorat.
Merci beaucoup pour cet entretien et au plaisir de vous revoir!