Sur la composition des conseils d’administration des constituantes de l’Université du Québec : quelques rappels

Michel Roche, professeur de science politique au Département des sciences humaines et sociales

À l’assemblée syndicale du 22 avril dernier, j’ai expliqué brièvement que la composition des conseils d’administration des universités avait changé dans le contexte du virage néolibéral opéré au Québec comme presque partout ailleurs. L’un de nos collègues a répliqué dans l’espace réservé au clavardage que la répartition des postes était inscrite dans la Loi sur l’Université du Québec, votée en 1968. La loi de 1968 prévoyait une composition précise. Elle a cependant été modifiée en 1989 par le ministre libéral Claude Ryan et cette modification s’inscrivait effectivement dans le cadre du néolibéralisme[1], promu par un gouvernement dont l’un des ministres, Paul Gobeil, avait affirmé que le Québec serait désormais « dirigé comme une entreprise ». Compte tenu des états de service de Gobeil à la direction d’une chaîne d’épiceries bien connue, nous disions alors que nous passions de l’État-providence à l’État-Provigo. Le gouvernement Bourassa s’était notamment donné pour tâche de soumettre les services publics à une gestion calquée sur celle du secteur privé, n’hésitant pas à recourir dans certains cas à la privatisation, ou à faire adopter un virage commercial aux entreprises publiques. Une présence accrue des milieux des affaires dans les universités faisait partie de cette nouvelle vision des choses, notamment sur le plan managérial, vision encouragée par l’OCDE.

Je n’expliquerai pas ici tous les tenants et aboutissants du néolibéralisme dans le milieu universitaire – il existe d’excellentes études sur le sujet[2] – sauf pour dire ceci : toutes les batailles que nous avons menées à l’UQAC au cours des dernières années étaient et demeurent invariablement liées à ce virage imposé aux universités. Ce virage a été particulièrement renforcé par le gouvernement Charest avec son projet de « réingénierie de l’État » impliquant la révision de la « gouvernance » des institutions publiques pour la rapprocher des pratiques en vigueur dans le secteur privé.

La séparation plus stricte qu’autrefois entre tâches académiques et administratives cause de multiples conflits entre gestionnaires et départements. La logique purement comptable et à court terme entre en contradiction avec les exigences du développement des programmes à plus long terme. Le modèle hiérarchisé qu’on met en place heurte de plein fouet le principe de collégialité qui caractérisait l’UQ depuis sa fondation. Conséquence de tout cela et de bien d’autres choses encore : le nombre d’administrateurs a explosé dans les universités, en dépit d’une rhétorique axée sur la rationalisation. Et pour les fonctions de cadres supérieurs, le profil gestionnaire semble être devenu une exigence incontournable. On peut d’ailleurs se demander si les fameux « tests psychométriques » n’ont pas été élaborés en ce sens. N’étant pas spécialiste en la matière, je me limiterai seulement à poser la question. Mais revenons à la question précise des conseils d’administration.

La Loi sur l’Université du Québec, sanctionnée par l’Assemblée nationale le 18 décembre 1968, prévoyait que la composition du CA des constituantes de l’UQ serait la suivante (article 32) :

« Les droits et pouvoirs d’une université constituante sont exercés par un conseil d’administration composé des personnes suivantes nommées par le lieutenant-gouverneur en conseil, qui en font partie au fur et à mesure de leur nomination: a) le recteur; b) deux personnes nommées pour trois ans après consultation du corps professoral et exerçant une fonction de direction d’enseignement ou de direction de recherche à l’université constituante; c) trois professeurs de l’université constituante nommés pour trois ans, désignés par le corps professoral de cette université, et deux étudiants de l’université constituante, nommés pour un an, désignés par les étudiants de cette université ; d) une personne nommée pour trois ans choisie parmi les personnes proposées conjointement par les collèges d’enseignement général et professionnel du territoire principalement desservi par l’université constituante; e) au plus quatre vice-recteurs nommés en vertu de l’article 39 et désignés par la majorité des personnes qui composent le conseil d’administration; f) trois autres personnes nommées pour trois ans sur la recommandation de l’assemblée des gouverneurs de l’Université et après consultation des associations les plus représentatives du milieu des affaires et du travail[3]. »

Il faut noter ici qu’à l’origine, les professeurs étaient consultés pour désigner parmi leurs pairs les membres du CA occupant une fonction de direction d’enseignement ou de recherche, tout comme ils choisissaient leurs trois représentants. Ce faisant, ils pouvaient déterminer la composition de près du tiers du CA (cinq sur un maximum de 16 en cas de présence de quatre vice-recteurs). Il convient également de remarquer que la loi prévoyait la présence de trois personnes provenant du milieu des affaires et du travail.

Vingt ans plus tard, le ministre Claude Ryan, de sinistre mémoire pour le rôle qu’il a joué en éducation, déposait le projet de loi 63[4]pour modifier la composition du conseil d’administration des constituantes de l’Université du Québec, dans le but explicite d’accroître la représentation des membres socio-économiques. L’article 32 doit désormais se lire comme suit :

« Les droits et pouvoirs d’une université constituante sont exercés par un conseil d’administration composé des personnes suivantes, qui en font partie au fur et à mesure de leur nomination : a) le recteur; b) deux personnes exerçant une fonction de direction à l’université constituante, dont au moins une personne exerçant une fonction de direction d’enseignement ou de direction de recherche, nommées par le gouvernement pour trois ans et désignées par le conseil d’administration, sur la recommandation du recteur; c) six personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, dont trois professeurs de l’université constituante, nommés pour trois ans et désignés par le corps professoral de cette université, deux étudiants de l’université constituante, nommés pour deux ans et désignés par les étudiants de cette université et un chargé de cours de cette université constituante nommé pour trois ans et désigné par les chargés de cours de cette université ; d) une personne nommée pour trois ans par le gouvernement sur la recommandation du ministre, et choisie parmi les personnes proposées conjointement par les collèges d’enseignement général et professionnel de la région principalement desservie par l’université constituante; e) cinq personnes nommées pour trois ans par le gouvernement sur la recommandation du ministre, après consultation des groupes les plus représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail ; f) un diplômé de l’université constituante, nommé pour trois ans par le gouvernement sur la recommandation du ministre, après consultation des associations de diplômés de cette université constituante ou, s’il n’existe pas de telles associations, après consultation de l’université constituante concernée[5]. ».

Comme on peut le constater, les professeurs n’élisent plus que trois représentants au lieu de cinq et le nombre de représentants des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail passe de trois à cinq. Quant aux « deux personnes nommées pour trois ans après consultation du corps professoral et exerçant une fonction de direction d’enseignement ou de direction de recherche », non seulement elles ne sont plus désignées par les professeurs mais ces personnes peuvent occuper une fonction de cadre à l’université. Actuellement, l’un de ces postes est assumé par Dominique Biron, vice-rectrice aux affaires administratives (l’autre poste est vacant). En ajoutant le représentant des diplômés et celui des cégeps de la région, le CA est ainsi composé pour presque la moitié (7/15) de personnes de l’extérieur. Un tel changement pourrait apparaître minime à première vue. Mais l’impact est plus grand qu’il n’y paraît. Selon l’OCDE elle-même, qui a réalisé une étude sur le sujet en comparant le réseau universitaire de plusieurs pays, les pouvoirs du « recteur, du vice-président et d’autres administrateurs de haut rang » ont été renforcés au détriment d’une « perte d’autorité et de pouvoirs de décision du côté des instances traditionnelles à vocation participative et collégiale[6] ».

Le Québec n’a manifestement pas échappé à cette tendance. Il vaut la peine ici de rapporter quelques propos prononcés en commission parlementaire dans le cadre de l’étude du projet de loi du ministre Ryan. Le député d’opposition François Gendron affichait un certain scepticisme quant à la présence accrue de représentants des milieux des affaires dans les conseils d’administration des universités :

« (…) je ne suis pas sûr qu’on doive faire des conseils d’administration des constituantes semblables aux grands CA de compagnies, aux grands CA de “business” avec un gouvernement de “business”. Là, tout ce qui les intéressent [sic] c’est de “balancer” les colonnes et les colonnes ne “balancent” pas, on a des problèmes. Ce n’est pas ça l’éducation universitaire et ta formation de l’avenir[7] ».

L’un des critiques les plus virulents du projet de loi a été le président de la Fédération des professeurs et professeures d’universités du Québec (ancêtre modeste de la FQPPU), nul autre qu’André Leblond, qui fut longtemps président du SPPUQAC. Il vaut la peine de le citer :

« Ce que nous trouvons excessif, c’est, justement, cette disproportion de membres socio-économiques pour des décisions à prendre sur la gestion de l’université. Nous croyons que les gens qui doivent décider et analyser des dossiers qui sont soumis au conseil d’administration doivent avoir Intérêt à prendre ces décisions et doivent avoir aussi une certaine connaissance du milieu. Déjà, il y a un certain nombre de socio-économiques et ça amène un certain éclairage. Le problème qu’on rencontre surtout avec ces personnes, c’est, la plupart du temps, leur désintérêt, le surcroît de travail que ça leur Impose aussi. […] Aussi, ce manque d’implication des socio-économiques et leur méconnaissance des dossiers a souvent pour effet de les faire voter dans le même sens que la direction, et ça c’est un piège à éviter[8]. »

Notons également que si la loi prévoit que les membres socio-économiques doivent être « représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail », la diversité n’est pas toujours au rendez-vous – si jamais elle le fut. Actuellement, au CA de l’UQAC, aucun membre « socio-économique » ne provient du monde syndical. Jimmy Boulianne est directeur général d’Ubisoft Saguenay. Charles Fillion, a été jusqu’à récemment directeur général de la Vallée de l’aluminium, directeur de l’usine SigmaDek de La Baie et a occupé divers autres postes dans les milieux d’affaires. Pierre-Olivier Lussier, ex-employé de cabinet des gouvernements Charest et Couillard, est directeur du Centre en entrepreneuriat multi-ressources. Mylène Girard est directrice générale du Carrefour jeunesse-emploi Lac-Saint-Jean-Est. Et enfin, Guylaine Simard, qui est également présidente du CA de l’UQAC, dirige le Musée du Fjord. Il ne s’agit pas de remettre en question la valeur de ces personnes, mais de remarquer qu’elles ont toutes en commun d’occuper des postes de pouvoir, avec tout ce qui accompagne une telle position dans la façon de voir le monde : soumission à la hiérarchie, culture de performance, culte de la rentabilité immédiate, etc. On comprend bien leur sympathie « naturelle » pour les cadres supérieurs de l’université, à commencer par le recteur ou la rectrice. Je ne suis pas certain que la nomination au CA de cinq représentants des syndicats ou d’organismes communautaires de la région serait considérée avec la même bienveillance.

N’eût été un fort mouvement d’opposition et d’autres considérations politiques, le gouvernement Charest aurait, avec son projet de loi 38 déposé en juin 2009, livré les CA des constituantes de l’UQ aux membres externes en leur accordant 60% des sièges. Je m’arrête ici, mais l’histoire continue. Les forces favorables au modèle entrepreneurial n’ont pas rendu les armes, loin de là. Et il faut y résister de manière résolue.


[1] Il faut ici entendre par « néolibéralisme » – un terme utilisé trop souvent de manière abusive – cette offensive idéologique et politique des forces pro-patronales visant à libérer le secteur privé de diverses contraintes politiques, sociales, fiscales, réglementaires et autres qui pèseraient sur la mobilité et l’accumulation du capital.

[2] Voir à ce sujet Éric Martin et Maxime Ouellet, La gouvernance des universités dans l’économie du savoir, Rapport de recherche, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), novembre 2010, 32 pages. Disponible en ligne : https://cdn.iris-recherche.qc.ca/uploads/publication/file/Gouvernance-web.pdf

[3] Moteur de recherche des lois annuelles de l’Assemblée nationale: Recherche – Lois annuelles du Québec (1867- ) – Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec (assnat.qc.ca) Mots-clés : Loi de l’Université du Québec. Il faut également sélectionner un index : Lois_An_Qc 1968 (17 ElizII). Cet article de la loi se trouve dans les pages 437-438.

[4] Le projet de loi a été présenté le 8 novembre 1988. Adopté le 14 juin 1989, il est entré en vigueur le lendemain.

[5] Gazette officielle du Québec, Lois et règlements (Partie 2), 121e année, 26 juillet 1989, No. 31, p. 3616-3617. Les soulignés sont de moi.

[6] OCDE, Analyse des politiques d’éducation, 2003, p. 79.

[7] Assemblée nationale du Québec, Journal des débats de la Commission de l’éducation, 4 avril 1989. N.B. : Il s’agit d’un extrait d’un verbatim que je n’ai donc pas modifié même si certaines phrases peuvent apparaître étranges.

[8] Ibid. Pas plus que pour la citation précédente, je me suis permis d’y apporter quelque modification que ce soit.

La Correspondance

Une réflexion à propos de “Sur la composition des conseils d’administration des constituantes de l’Université du Québec : quelques rappels

  1. Merci, Michel, pour ton éclairage factuel et tes analyses sur ce point, plus important qu’il n’y paraît de prime abord.
    Damien Hallegatte, Ph.D.
    Professeur de marketing à l’UQAC

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