Analyses et perspectives sur la santé et le mieux-être au travail en contexte de COVID-19

Samuel Julien, étudiant à la maîtrise en gestion des organisations au Département des sciences économiques et administratives
Martin Lavallière, professeur de kinésiologie au Département des sciences de la santé
Julien Bousquet, professeur de marketing au Département des sciences économiques et administratives
Christiane Bergeron-Leclerc, professeure de travail social au Département des sciences humaines et sociales

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19 en février 2020 au Québec (INSPQ, 2022), les différentes mesures mises en place dans les milieux d’enseignement afin de contrer la propagation du virus ont bouleversé les modes d’enseignement. En effet, les fermetures des établissements d’enseignement supérieur le 13 mars 2020 (Lecavalier, 2020) et le 20 décembre 2021 (Laberge, 2021) ont obligé les professeur·es à basculer entre le travail en présentiel et le télétravail, une situation demandant un grand niveau d’adaptation.

COVID-19, télétravail et impacts sur la santé

En 2021, le télétravail n’a jamais été aussi présent dans la vie des travailleur·es: 32% des employé·es canadien·es âgé·es de 15 à 69 ans effectuaient la plupart de leurs heures de travail à partir de leur domicile. De plus, environ 80% de ces personnes se retrouvant en télétravail aimeraient travailler au moins la moitié de leurs heures à la maison une fois la pandémie terminée (Statistique Canada, Mehdi, & Morissette, 2021). Selon un autre sondage auprès de télétravailleur·es, 38% des répondant·es souhaitent conserver le télétravail à temps plein tandis que 24% préfèrent avoir une pleine flexibilité entre le travail à la maison ou au bureau (Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, 2021).

Ce changement drastique dans la manière de réaliser le travail a donc forcé de nombreux professeur·es à s’installer à domicile avec un environnement de travail ne respectant pas nécessairement les meilleures pratiques en matière de santé et sécurité au travail. On n’a qu’à penser à la bonne vieille chaise de cuisine entourée des enfants qui courent ou au tabouret de l’îlot de cuisine face à une fenêtre où l’on est ébloui par le soleil. Le télétravail est reconnu comme pouvant engendrer des risques ergonomiques augmentés en lien avec l’aménagement du poste de travail (ex : posture statique prolongée, posture contraignante et équipements et mobiliers non adaptés à la tâche) (CNESST, 2021a). Ces risques augmentent les chances de développer un trouble musculosquelettique (TMS) (Canadian Centre for Occupational Health & Safety, 2022), tels que des maux de dos, des douleurs au cou et aux différentes parties des membres supérieurs et inférieurs (CNESST, 2021b).

Le télétravail peut aussi mener à des risques psychosociaux en raison de la difficulté à établir une frontière entre la vie privée et la sphère professionnelle (ex : gestion du temps, hyperconnexion), de l’isolement (ex : sentiment de manque de soutien ou de reconnaissance) et de l’organisation du travail (ex : harcèlement ou violence) (CNESST, 2021a). Ces risques augmentent la probabilité de conséquences néfastes sur la santé physique (TMS et maladie cardiovasculaire) (Hauke, Flintrop, Brun, & Rugulies, 2011; Huang et al., 2015; Pikhart & Pikhartova, 2015) et psychologique (détresse, dépression et troubles anxieux) (Bonde, 2008; INSPQ, 2021; Stansfeld & Candy, 2006). Aussi, les risques psychosociaux  peuvent avoir des impacts majeurs sur la productivité d’une organisation (Van den Heuvel, Geuskens, Hooftman, Koppes, & Van den Bossche, 2010) en raison de l’absentéisme, du présentéisme, des départs prématurés à la retraite et des accidents de travail (INSPQ, 2018; Vézina et al., 2011).

Considérant le caractère imprévisible de la pandémie y compris au présent trimestre hivernal, il devient crucial de minimalement favoriser un maintien de la santé physique et mentale et du mieux-être des professeur·es, et ce, qu’elles et ils travaillent de la maison, du bureau ou de leurs laboratoires. Pour ce faire, la mise en place de programmes de santé et de mieux-être (PSME) et d’interventions sur le milieu de travail comme à domicile est un outil indispensable pour promouvoir la santé des employé·es.

Que sait-on de la santé du personnel enseignant ?

L’équipe de recherche du projet « Impact Covid-19 » (Université du Québec à Chicoutimi, 2022) documente depuis le printemps 2020 l’état de santé mentale et physique du personnel enseignant de l’UQAC. Bien que ce portrait soit peu réjouissant, les données amassées par cette équipe mettent en évidence l’augmentation des manifestations anxieuses et dépressives au cours de la première année de pandémie. Concrètement, ce seraient environ 40% des professeur·es qui en avril 2021 auraient été concernés par ce type de manifestations (Letarte, 2021). Au cours de la même période, une augmentation des douleurs musculosquelettiques a également été observée par l’équipe de recherche. En effet, 65% du corps enseignant ont rapporté avoir vécu des douleurs au cours du dernier mois. Parmi ces répondant·es, 66% ont mentionné que l’apparition de ces douleurs faisait suite au début de la pandémie (Bergeron-Leclerc, Maltais, Cherblanc, Pouliot, & Dion, 2021). Le contexte de télétravail et un aménagement du poste de travail inadéquat à domicile pourraient avoir favorisé cette apparition accrue de douleurs.

Dans le cadre d’un projet de recherche à la maîtrise en gestion des organisations à l’UQAC en mars 2021 (Julien, 2021), des données sur facteurs de risque modifiables des maladies cardiovasculaires (MCV) du personnel enseignant de l’UQAC ont aussi pu être recueillies. Présentées à la figure 1 ici-bas, on observe notamment que 59,5% des répondant·es ont un indice de masse corporelle trop élevé, 50,0% ne pratiquent pas suffisamment d’activité physique hebdomadairement et que 26,5% ne consomment pas assez de fruits et de légumes quotidiennement.

Figure 1 : Prévalence des facteurs de risque modifiables des MCV du personnel enseignant de l’UQAC

Que souhaite le personnel enseignant?

Afin de mettre en place des interventions orientées vers les besoins du personnel enseignant, ceux-ci ont été sondés en mars 2021 (Julien, 2021). Parmi les 21 différents programmes de soutien proposés, cinq ont suscité plus d’intérêt et pourraient donc être priorisés lors d’une implantation future (figure 2 ici-bas). Qui plus est, ces cinq programmes sont directement en lien avec les facteurs de risques modifiables des MCV et les problématiques de santé mentale et physique mentionnés précédemment. Ces résultats mettent en évidence la nécessité de déployer de tels programmes au sein de notre université et du désir du personnel enseignant que ceux-ci soient mis en place dans notre milieu de travail.

Figure 2 : Niveau d’intérêt du personnel enseignant de l’UQAC selon le programme

Miser sur la santé et le mieux-être des employés

Avec la croissance du télétravail, il ne faut surtout pas négliger l’environnement de travail domiciliaire du corps enseignant. Notamment, les professeur·es devraient avoir accès à des équipements permettant la pratique d’activités physiques, un espace de bureau au moins comparable à celui de leur milieu de travail, une certaine flexibilité de leur horaire de travail afin de faciliter la conciliation vie personnelle-travail et l’accès à des ressources en santé mentale/physique pour pouvoir maintenir et améliorer leurs habitudes de vie.

Au vu des résultats présentés précédemment et du contexte de la COVID-19, il est primordial d’accorder une grande importance à la santé physique et mentale et au mieux-être du personnel enseignant. Que ce soit en lien avec les habitudes de vie, la conciliation vie personnelle-travail, l’environnement de travail ou les pratiques de gestion, la mise en place d’interventions préventives et de pratiques organisationnelles saines permet d’instaurer une culture de santé et de mieux-être, ce qui a des effets positifs à long terme non seulement sur la santé du personnel, mais aussi sur la santé de l’organisation (Bureau de normalisation du Québec, 2020; Deloitte, 2019; Dewa, Chau, & Dermer, 2010; Medibank private, 2011).


Références

Bergeron-Leclerc, C., Maltais, D., Cherblanc, J., Pouliot, E., & Dion, J. (2021). Santé globale et enseignement universitaire : regard sur une année de pandémie. Repéré à https://correspondance.info/?p=498

Bonde, J. P. E. (2008). Psychosocial factors at work and risk of depression: a systematic review of the epidemiological evidence. Occupational and Environmental Medicine, 65(7), 438. doi: 10.1136/oem.2007.038430

Bureau de normalisation du Québec. (2020). CAN/BNQ 9700-800/2020 Entreprise en santé – Prévention, promotion et pratiques organisationnelles favorables à la santé et au mieux-être en milieu de travail. Repéré à https://www.bnq.qc.ca/fr/normalisation/sante-au-travail/entreprise-en-sante.html

Canadian Centre for Occupational Health & Safety. (2022). Work-related Musculoskeletal Disorders (WMSDs). Repéré à https://www.ccohs.ca/oshanswers/diseases/rmirsi.html

CNESST. (2021a). AIDE-MÉMOIRE en santé et sécurité du travail pour le télétravail. Repéré à https://www.cnesst.gouv.qc.ca/sites/default/files/documents/dc200-7010-aide-memoire-teletravail_2020-10_v6.pdf

CNESST. (2021b). Troubles musculosquelettiques (TMS). Repéré à https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/prevention-securite/identifier-corriger-risques/liste-informations-prevention/troubles-musculosquelettiques-tms

Deloitte. (2019). Les programmes de santé mentale en milieu de travail : une valeur ajoutée pour les employés et les employeurs. Repéré à https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/ca/Documents/about-deloitte/ca-fr-about-blueprint-for-workplace-mental-health-final-aoda.pdf

Dewa, C. S., Chau, N., & Dermer, S. (2010). Examining the comparative incidence and costs of physical and mental health-related disabilities in an employed population. J Occup Environ Med, 52(7), 758-762. doi: 10.1097/JOM.0b013e3181e8cfb5

Hauke, A., Flintrop, J., Brun, E., & Rugulies, R. (2011). The impact of work-related psychosocial stressors on the onset of musculoskeletal disorders in specific body regions: A review and meta-analysis of 54 longitudinal studies. Work & Stress, 25(3), 243-256. doi: 10.1080/02678373.2011.614069

Huang, Y., Xu, S., Hua, J., Zhu, D., Liu, C., Hu, Y., … Xu, D. (2015). Association between job strain and risk of incident stroke: A meta-analysis. Neurology, 85(19), 1648-1654. doi: 10.1212/wnl.0000000000002098

INSPQ. (2018). Risques psychosociaux du travail : des risques à la santé mesurables et modifiables. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2373_risques_psychosociaux_travail_mesurables_modifiables.pdf

INSPQ. (2021). Risques psychosociaux du travail. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/risques-psychosociaux-du-travail-et-promotion-de-la-sante-des-travailleurs/risques-psychosociaux-du-travail

INSPQ. (2022). Données COVID-19 par vague selon l’âge et le sexe au Québec. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees/age-sexe

Julien, S. (2021). Évaluation des besoins des employés et des étudiants de l’UQAC en matière de programmes de santé et de mieux-être et perception des barrières et des facilitateurs quant à leurs implantations [document en préparation]. Sciences économiques et administratives, Université du Québec à Chicoutimi.

Laberge, T. (2021). Écoles, salles de spectacles, bars fermés: «C’est la guerre» [VIDÉO]. Le Soleil.

Lecavalier, C. (2020). Écoles, cégeps, universités et garderies fermés pour deux semaines. Journal de Québec.

Letarte, M. (2021). Après-COVID: Comment mieux soutenir la santé mentale de la communauté étudiante? QUÉBEC SCIENCE.

Medibank private. (2011). The health of Australia’s workforce. Repéré à https://www.medibank.com.au/Client/Documents/Pdfs/The_health_of_Australia’s_workforce.pdf

Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. (2021). MODES DE TRAVAIL ET TÉLÉTRAVAIL DURABLES POST-PANDÉMIE : DES DISCUSSIONS À PRÉVOIR POUR FAVORISER L’ADHÉSION.

Pikhart, H., & Pikhartova, J. (2015). The Relationship Between Psychosocial Risk Factors and Health Outcomes of Chronic Diseases: A Review of the Evidence for Cancer and Cardiovascular Diseases. Copenhagen: © World Health Organization 2015.

Stansfeld, S., & Candy, B. (2006). Psychosocial work environment and mental health–a meta-analytic review. Scand J Work Environ Health, 32(6), 443-462. doi: 10.5271/sjweh.1050

Statistique Canada, Mehdi, T., & Morissette, R. (2021). Travail à domicile : productivité et préférences. Repéré à https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2021001/article/00012-fra.htm

Université du Québec à Chicoutimi. (2022). Impact Covid-19 Les conséquences de la pandémie sur la santé globale des populations universitaires. Repéré à https://www.uqac.ca/impactcovid/

Van den Heuvel, S. G., Geuskens, G. A., Hooftman, W. E., Koppes, L. L., & Van den Bossche, S. N. (2010). Productivity loss at work; health-related and work-related factors. Journal of occupational rehabilitation, 20(3), 331-339.

Vézina, M., Cloutier, E., Stock, S., Lippel, K., Fortin, É., Delisle, A., … Prud’homme, P. (2011). Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de sécurité du travail (EQCOTESST) rapport. Repéré à http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2069255

La Correspondance

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