Analyse, Pédagogie

Il y a un an : 10 défis identifiés par les étudiant.es de l’UQAC en temps de pandémie

Clavier avec le mot Webinar

Eve Pouliot, Catherine Flynn, Marie-Christine Brault, professeures au DSHS

Pascale Dubois, Julie Godin, étudiantes au DSHS

Jacinthe Dion, Linda Paquette, professeures au DSS

Anne Martine Parent, professeure au DALL

Introduction

La pandémie de la COVID-19 et les mesures sociales et sanitaires qui en découlent ont engendré des changements dans différents secteurs d’activité et le monde universitaire n’y échappe pas. Un article publié par nos collègues de l’UQAC en novembre dernier démontre que la détresse des étudiant.es universitaires est bien réelle dans le réseau de l’Université du Québec et que la moitié d’entre elles et d’entre eux vivent des symptômes apparentés à la dépression majeure et au trouble d’anxiété généralisée, incluant des symptômes de stress post-traumatique. Mais au-delà de ces données inquiétantes concernant la santé mentale de nos étudiant.es, qu’en est-il des défis reliés à leurs apprentissages ?

Afin de répondre à cette question, nous avons analysé le discours de 123 étudiant.es de l’UQAC ayant répondu à un questionnaire en ligne dans la semaine du 27 avril 2020, soit peu de temps après que l’association étudiante ait lancé une page Facebook intitulée « l’UQAC se fout de nous ». Ces étudiant.es sont principalement des femmes (79 %) et cheminent dans un programme de premier cycle (84 %). Le volet qualitatif de notre étude mixte incluait différentes questions à développement permettant, notamment, de mieux comprendre les principaux défis qu’ils rencontraient dans leurs apprentissages depuis la mise en place des mesures de distanciation physique le 13 mars 2020. 89 étudiant.es se sont d’ailleurs exprimé.es à ce sujet dans les questions ouvertes de notre questionnaire. Bien qu’il soit fort probable que la situation de ces étudiant.es ait évolué au cours des derniers mois, nous avons jugé pertinent de leur donner une voix dans cet article.

 « Le stress et l’anxiété nuisent à mes études… »

D’abord, plusieurs étudiant.es (n=53) ayant participé à la collecte des données percevaient une détérioration de leur santé mentale depuis le début de la pandémie. Cette détérioration se manifestait principalement par une augmentation de leur stress et de leur anxiété (n=38). Pour un.e répondant.e sur cinq, le stress et l’anxiété ne découlaient pas seulement de la pandémie en elle-même, mais aussi des répercussions qu’elle entraînait sur leur cheminement scolaire. Ces dernier.es exprimaient des inquiétudes quant à la réussite de leurs examens, de leurs cours, de leur trimestre, voire la qualité de leur diplôme et leur avenir professionnel. Des inquiétudes liées au paiement des frais de scolarité étaient aussi présentes chez les étudiant.es confronté.es à des pertes d’emploi et de revenu, surtout pour les répondante.es qui ne résidaient pas chez leurs parents.

Finir la session en pandémie et essayer de réussir mes cinq cours extra difficiles ont détruit mon état mental.

Mon défi est que pour cet été, je ne sais pas si mon organisme sera ouvert et si je vais avoir la possibilité de travailler, de faire de l’argent pour payer ma dernière session universitaire!

« Je ne trouve plus la motivation pour étudier… »

Dans les propos que nous avons recueillis, le manque de motivation figurait en tête de liste des défis rapportés par les étudiant.es (n=36) en lien avec leur cheminement scolaire. En effet, ils exprimaient que leur motivation et leur assiduité étaient négativement affectées par le contexte de la pandémie. Le fait de passer des journées entières devant leur écran d’ordinateur les déprimait, leur donnant l’impression de ne pas avancer ou d’être inutiles.

Il est difficile pour moi de trouver de la motivation et être assidue dans le nouveau mode de fonctionnement des études en ligne. C’est un réel défi pour moi.

Pour ma part, il est difficile de maintenir la cadence dans mes travaux lorsqu’ils sont tous à distance.

« Je suis incapable de me concentrer, j’ai la tête ailleurs… »

Les difficultés liées à la concentration constituent le deuxième défi le plus rapporté par les étudiant.es de l’UQAC (n=30) dans le cadre de notre étude. Pour certain.es, ces difficultés s’expliquaient par des distractions externes, liées à leur milieu de vie, alors que pour d’autres, elles découlaient du stress et de l’anxiété engendrés par la crise sanitaire et les mesures qui en découlent. Les étudiant.es vivant avec un TDA avec ou sans hyperactivité ont particulièrement été affecté.es par ces difficultés de concentration, plusieurs constatant même une exacerbation de leur trouble.

Mes problèmes d’anxiété sont amplifiés en raison de la COVID-19 et des mesures pour la freiner, ce qui affecte grandement ma capacité de concentration et mes performances.

Mon trouble déficitaire de l’attention est principalement présent lorsqu’il y a beaucoup de distraction autour de moi. Je réussissais à bien me concentrer dans mon local de recherche, seule, à l’UQAC. Maintenant que je dois tout faire à la maison, c’est très difficile pour moi de me concentrer.

« Je n’ai pas accès au matériel dont j’ai besoin… »

Des répondant.es (n=11) ont aussi mentionné des problèmes d’accès au matériel nécessaire à la poursuite de leurs études en ligne. N’ayant pas accès à Internet ou ne bénéficiant pas d’une connexion de qualité en raison de leur lieu de résidence, ces étudiant.es rencontraient des difficultés à accéder aux contenus déposés sur Moodle ou aux rencontres synchrones prévues sur Zoom ou Google Meet. Pour d’autres, c’est la difficulté d’accès au matériel informatique requis, incluant un ordinateur ou certains logiciels, qui nuisait à leurs apprentissages à distance. Finalement, quelques étudiant.es ont mentionné l’impossibilité d’accéder aux laboratoires et aux ressources de la bibliothèque.

Je vis dans un chalet, sans accès à l’internet. C’est difficile de me déplacer pour trouver du réseau.

Je n’ai plus les programmes que j’avais à l’école (SPSS et NVivo entre autres).

« Je ne dispose pas d’un espace pour étudier… »

L’absence de lieu pour étudier a également été déplorée par les étudiant.es interrogé.es dans le cadre de notre étude (n=19). D’une part, leur milieu de vie était parfois décrit comme peu propice aux études et à la concentration en raison des bruits ambiants ou de l’impossibilité de s’isoler afin de bénéficier de périodes de calme. Pour certain.es, cette difficulté a été amplifiée par la fermeture des bibliothèques et des cafés, des lieux habituellement favorables à la réalisation de leurs travaux scolaires.

Je dois rester chez moi dans une maison de 7 personnes dont 1 enfant en bas âge et 2 adolescents. Le calme est rare, il est difficile de me concentrer.

Depuis les mesures de confinement, j’ai énormément de difficulté avec la rigueur nécessaire à la complétion de mes tâches universitaires. Les lieux publics, comme la caf de l’université, le café Cambio, étaient pour moi des endroits où je pouvais m’isoler et me concentrer pour les divers travaux et lectures que j’avais à faire. Je n’ai jamais été productive de la maison, et j’y suis maintenant confinée, ce qui m’apporte un peu de détresse psychologique.

« Je n’arrive pas à tout concilier… »

La difficulté à concilier leurs études à leurs responsabilités familiales ou professionnelles a été exprimée par 10 répondant.es. Bien que seulement cinq mères-étudiantes aient complété le questionnaire, la conciliation étude-famille a unanimement été identifiée comme un défi important. La présence d’enfants limitait le temps qu’elles pouvaient accorder à leurs études, tout en diminuant leur concentration lors de leurs travaux et de leurs examens en raison de bruits ou d’interruptions régulières. Pour d’autres le fait d’œuvrer dans les services essentiels a également augmenté le nombre d’heures consacrées à leur emploi, réduisant par le fait même le temps disponible pour leurs études.

Rester concentrée dans une maison avec un enfant de 2 ans. Malgré que mon conjoint était aussi présent pour s’en occuper, c’est bruyant un enfant de 2 ans, et il veut toujours voir maman.

Agencer mes études et mon nombre d’heures au travail qui a énormément augmenté avec la crise actuelle.

« Je me sens laissé.e à moi-même dans mes apprentissages… »

Parmi les étudiant.es interrogé.es, certain.es (n=13) ont exprimé vivre des difficultés dans les cours dispensés à distance en raison d’un manque d’encadrement et de suivi de leurs apprentissages. Sans aide pour réaliser leurs travaux, illes se sentaient laissé.es à eux-mêmes dans les tâches à accomplir et avaient de la difficulté à gérer leur temps et à organiser leurs journées dans le contexte des cours en ligne. Les contacts restreints avec les pairs faisaient aussi en sorte que les étudiant.es avaient moins d’occasions d’échanger afin de valider leur compréhension des notions enseignées.

De ne pas avoir un prof pour expliquer la matière en face à face est un défi à surmonter. La compréhension se fait moins facilement et rapidement.

J’ai l’habitude de demander quotidiennement à mes collègues de classe des informations relatives au cours (dates de remise, conseil sur la matière, etc.). Bien que je sois relativement bien organisé, demander à mes amis si j’ai oublié quelque chose me permet de m’assurer de rien manquer.  À cause des cours en ligne, j’oublie de vérifier si j’ai bien toutes les informations exactes.

« Mes cours à distance sont peu adaptés à ma réalité… »

Certain.es étudiant.es (n=12) ont confié avoir de la difficulté à s’adapter à l’apprentissage en ligne. Les contenus de cours leur semblaient plus difficiles à comprendre à distance. À leurs yeux, le matériel mis à leur disposition par les enseignant.es ne répondait pas toujours à leurs besoins, se limitant à des documents à lire, sans mises en contexte, explications supplémentaires ou exemples leur permettant de bien intégrer la matière. Ils estimaient que certain.es enseignant.es manquaient de préparation et de compétence afin de dispenser des cours en ligne, tout en étant peu ouvert.es à leurs offrir des accommodements. Selon leur programme d’appartenance ou les cours suivis, les étudiant.es considéraient parfois que leur charge de travail était augmentée, dans un contexte où ils auraient eu besoin de compréhension et de flexibilité.

Manque de support d’apprentissage : pas de vidéo commentée seulement un PowerPoint ou des documents à lire.

Il n’y a eu que très peu d’assouplissement de notre charge de travail tout en ayant manqué 2 semaines… Charge de travail augmentée dans un environnement peu propice à l’étude.

« J’ai peur d’échouer mes cours… »

En raison des difficultés liées aux travaux d’équipe et des examens réalisés à distance, certain.es étudiant.es (n=11) ont mentionné des inquiétudes quant à leur réussite scolaire. Les problèmes à concilier les différents horaires, l’accès limité à Internet et la difficulté à trouver des espaces pour collaborer et étudier rendaient les travaux et les évaluations en ligne complexes.

Je n’ai pas l’habitat pour étudier en paix. Par exemple, dans un de mes examens, mes voisins ont fait énormément de bruit pendant tout mon examen, alors je n’ai pas été capable de me concentrer… Je crois l’avoir coulé.

Je trouve cela injuste que la plupart des enseignants de mon programme n’ont enlevé aucun travail et les examens étaient vraiment difficiles, je dirais encore plus difficiles qu’en classe […] J’aurais aimé un peu plus de compassion, et si jamais je ne passe pas un cours de quelques pour cent, j’espère qu’on pourra avoir des mesures.

« Je me sens incompris.e et peu considéré.e… »

Finalement, certain.es étudiant.es (n=10) ont rapporté vivre des frustrations par rapport à l’UQAC et les membres de son personnel dans le contexte de la pandémie. D’une part, ces personnes étaient déçues par le manque de communication de l’institution, qui tardait à leur donner des directives claires concernant la session en cours. Elles dénonçaient l’absence de réponses à leurs nombreux courriels, l’inaction de certaines instances, ainsi que le manque de cohérence et de clarté dans les décisions prises. Elles déploraient également le manque de reconnaissance des défis particuliers vécus par certains groupes, notamment les étudiant.es parents, internationaux ou en situation de handicap.

Le fait que les parents étudiants soient laissés pour compte dans cette situation me chagrine au plus haut point. J’ai honte de mon université.J’ai écrit plusieurs fois aux différentes instances de mon université et soit je n’ai aucune réponse ou soit ils se renvoient chacun la balle.

La manière dont les étudiants ont été informés lors de la crise n’était pas rassurante selon moi. Nous avons appris les nouvelles sur Facebook, au mieux, ou par courriel plus tard. De plus, les nouvelles n’étaient souvent pas claires et la date de reprise des cours a été déplacée trois fois par l’UQAC. Cela m’a laissé un sentiment amer, m’a rendu anxieuse et j’ai perdu confiance en mon université.

Conclusion

Malgré les limites de notre étude, telles que la taille réduite de notre échantillon et la représentation limitée de certains groupes, notamment les étudiant.es autochtones, les résultats qui s’en dégagent soulèvent des pistes pour améliorer le cheminement de nos étudiant.es. Parmi celles-ci, la préservation de la relation pédagogique avec nos étudiant.es, l’importance de créer de la « présence à distance » et la nécessité d’aménager des espaces afin de briser leur isolement, pour échanger avec leurs pairs et leur permettre de travailler dans le calme, nous semblent particulièrement importantes. Nos résultats indiquent aussi que les défis rencontrés par nos étudiant.es semblent exacerbés pour certains groupes qui devraient faire l’objet de mesures plus ciblées, notamment ceux qui ont des enfants, présentent une situation de handicap ou disposent de ressources financières et matérielles plus limitées.

Au cours des derniers mois, diverses mesures ont été mises de l’avant par les différentes instances de l’UQAC, dont les services aux étudiant.es, afin de réduire les inégalités, les difficultés et les défis vécus. La mise en place du Carrefour de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage permettra également de mieux accompagner les enseignant.es dans leurs choix pédagogiques et la mise en œuvre de ceux-ci. Si la pandémie semble accentuer des inégalités préexistantes, elle implique également le développement de nouveaux outils et compétences, notamment en lien avec le numérique. Ainsi, il est possible de penser que la COVID-19 entraînera un « avant » et un « après » pour les universités, tant pour les étudiant.es que pour leurs enseignant.es. Pour s’y préparer, nous croyons important d’être à l’écoute des besoins exprimés par nos étudiant.es, tout en leur donnant une voix dans la recherche de solutions.

Pour en savoir plus au sujet de notre étude :

Flynn, C, Brault, M.-C., Pouliot, E., Godin, J., Bernet, M.M., Carrier, É., Dubois, P., Turcotte, S., Dion, J. Paquette, L. et Parent, A.-M. (2020). « Pas toustes dans le même bateau face à la pandémie –  Lorsque la distanciation physique rend visible les inégalités entre les étudiant.es de l’UQAC », dans J. Cherblanc, F.-O. Dorais, C. Tremblay et S. Tremblay, La COVID-19 : un fait social total. Perspectives historiques, politiques, sociales et humaines (pp. 145-155). GRIR.