Je suis prof et, Social

Être une femme “issue de la diversité” et réussir sa vie sociale et professionnelle au Saguenay – Lac-Saint-Jean? C’est possible, mais…

Marie Fall, professeure au Département des sciences humaines et sociales
Salmata Ouedraogo, professeure au Département des sciences économiques et administratives
Anastasie Amboulé-Abath, professeure au Département des sciences de l’éducation

L’identité se construit toujours en relation à l’autre. D’une part, on se définit par notre différence face à l’autre, d’autre part, notre identité est construite par la perception de l’autre[*].

Nous sommes trois femmes québécoises originaires du Sénégal, du Cameroun et du Burkina Faso. Nous sommes professeures à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Sans vouloir nous positionner en superfemmes, encore moins en héroïnes ou en amazones, nous sommes aussi des mères de famille, des épouses, des sœurs, des tantes, des pionnières et des leaders dans nos communautés.

Sommes-nous pour autant différentes de nos collègues qui ne portent pas autant de chapeaux et qui n’ont pas les mêmes origines ni les mêmes marqueurs identitaires ? Nous pensons que non. Cependant, nos parcours sont bien distincts des leurs à plusieurs égards.

Dans le cadre de la semaine de la valorisation de la diversité qui s’est tenue à l’UQAC du 17 au 21 mai 2021, nous avons donné une conférence sur nos trajectoires de vie et les défis de notre intégration sociale et professionnelle au Québec, particulièrement au Saguenay – Lac-Saint-Jean. À partir de cette conférence, nous proposons de présenter nos trajectoires dans le cadre de cette section de Correspondance.


Trois portraits donc:

Marie Fall

Anastasie Amboulé-Abath

Salmata Ouedraogo


D’abord Marie.

Je m’appelle Marie Fall. Je me définis comme une sénégalo-québécoise née à Dakar, la capitale du Sénégal, et arrivée au Québec en 2002. J’ai quitté mon pays natal après avoir obtenu ma maîtrise et mon diplôme d’études approfondies en géographie pour effectuer mon doctorat en géographie environnementale à l’Université de Montréal. J’y ai vécu 4 ans et demie. Durant mes études doctorales, j’ai eu l’opportunité de travailler d’abord comme auxiliaire d’enseignement et ensuite comme chargée de cours à l’Université de Montréal. J’ai aussi été invitée à donner des conférences sur mes thématiques de recherche qui portaient sur la gestion des ressources naturelles dans les aires protégées dans plusieurs cours que ce soit en géographie, en environnement, en sociologie ou en droit. Je me suis impliquée dans plusieurs associations professionnelles de la diaspora sénégalaise dont la Société sénégalaise des scientifiques et ingénieurs au Canada qui organisait des activités et des plaidoyers pour les jeunes chercheur.e.s sénégalais.e.s installé.e.s à Montréal. D’ailleurs, j’ai commencé mes premiers engagements de type Conseil d’administration avec cette organisation. Depuis, je n’ai pas arrêté de m’impliquer dans des initiatives en lien avec mes intérêts sociaux et professionnels : l’éducation, la culture, le vivre-ensemble, la solidarité et la coopération.

Marie Fall, sénégalo-québécoise, née à Dakar et installée au Saguenay

Depuis août 2007, je suis professeure de géographie et coopération internationale au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Mes champs de recherches et d’interventions portent sur le développement international ; la gouvernance participative des territoires et des ressources ; la valorisation des savoirs traditionnels dans les projets de développement ; la vulnérabilité, l’adaptation et la résilience des communautés côtières du Sénégal au changement climatique ; et, le vivre-ensemble. Dans le cadre de mes activités de supervision, je suis responsable du stage de coopération internationale au Sénégal qui permet aux étudiant-e-s de l’UQAC de collaborer à diverses initiatives villageoises du delta du Saloum. Le service aux collectivités fait aussi partie de la tâche normale de professeure. À cet effet, je m’investis dans les services aux collectivités en lien avec mes compétences professionnelles et mes intérêts sociaux. Ma contribution se lit à travers une implication dans des organisations solidaires, humanitaires, humanistes et inclusives ; mon engagement dans différentes institutions régionales et nationales en lien avec l’éducation, la culture, le vivre-ensemble, la solidarité et la coopération ; et, mes implications à l’international.

Dans ma vie de tous les jours, je me vois comme une personne hyperactive, capable de rester tranquille, de se concentrer et attentionnée, qui s’intéresse à beaucoup de choses. Une artiste dans l’âme. J’ai un fort intérêt pour les lettres, les arts et la culture. La musique me parle ; tout comme l’écriture. J’ai plusieurs instruments de musique africaine, principalement sénégalaise chez moi. Je les collectionne et les affectionne. Je décroche en écrivant ou en lisant avec comme ambiance une belle musique traditionnelle africaine. J’aime beaucoup le cinéma d’auteur et le cinéma indépendant. J’aime surtout les voyages et les découvertes. J’aime le Grand air, la nature infinie et la mer. Je suis née à Dakar, la ville où on n’est jamais à plus de 20 km de l’océan. Nomade dans l’âme, mon rêve est de pouvoir me déployer partout à travers le monde à la rencontre des différents Peuples.

J’ai un fort intérêt pour les lettres, les arts et la culture. La musique me parle ; tout comme l’écriture.

Alors, comment j’en suis arrivée là ?

Plusieurs facteurs ont contribué à la réalisation de mon rêve d’être une femme accomplie sur le plan social et professionnel. D’abord, ma détermination à aller toujours plus loin et à dépasser les limites objectives qui s’imposent à moi. Le désir de vivre de nouvelles expériences et de sortir de ma zone de confort. Il y a chez moi cette espèce de folie qui m’amène à briser les codes sans même m’en rendre compte. Pas cette folie qui témoigne d’un manque de jugement mais celle qui consiste à s’évader de toute contrainte et se libérer des chaînes invisibles qui nous emprisonnent dans des carcans. J’aime la liberté même si elle a toujours un prix.

Quand je suis arrivée au Québec, mon premier réseau a été ma communauté d’appartenance : les sénégalais et africains de Montréal. Ce réseau était constitué d’étudiants gradués (maîtrise et doctorat) de l’UdeM et de l’UQAM. Nous nous fréquentions dans les différents campus et partagions des opportunités d’implication dans le milieu. L’émulation, dans son sens positif, qui est noble, louable et qui pousse à l’acquisition de compétences, de connaissances, dans diverses activités sociales et professionnelle nous accompagnait.

Ensuite, j’ai intégré des réseaux académiques et professionnels. Je me suis rapprochée des instituts et programmes qui s’intéressaient à l’international. J’ai eu des bourses pour pouvoir étudier et voyager en même temps. J’ai découvert, lors de séjours de recherche, la France, les États-Unis et redécouvert mon Afrique dont le Sénégal mon pays natal, le Burkina Faso, le Maroc, le Ghana, la Côte d’Ivoire et j’en passe.

Quand je suis arrivée au Saguenay, la réalité était autre qu’à Montréal ou à Ottawa. J’étais dans la jeune trentaine quand j’ai obtenu mon poste de professeure régulière à l’UQAC. Mon réseau se limitait alors à la famille du seul professeur d’origine sénégalaise qui était mon premier contact avec la région mais aussi mon Mentor à l’UQAC. Il l’est toujours. À travers lui et sa femme, j’ai pu faire la connaissance des Sénégalaises et Sénégalais de la région, trouvé une place en garderie pour ma fille, qui avait à peine un an, et un médecin de famille. D’autres professeurs de la diaspora ont composé ce que j’appelle encore aujourd’hui mon Comité d’accueil. Ils ont été présents pour répondre à mes questions en plus de me faire découvrir les bons restaurants de la ville lors de déjeuners de bienvenue. J’en garde de beaux souvenirs. Sans nommer personne, il y en a qui se reconnaîtront en lisant ce texte. Leur présence a été une source de motivation à m’enraciner au Saguenay.

Quand je suis arrivé au Saguenay, la réalité était autre qu’à Montréal ou Ottawa

Pour diversifier mon réseau social, l’arrivée de la deuxième africaine comme professeure régulière à l’UQAC a beaucoup aidé. En effet, c’est lors d’une discussion avec cette dernière que l’idée de former une tontine nous est venue.Dans sa définition économique, la tontine est une association de personnes qui décident de mettre en commun des montants d’argent au bénéfice de tout un chacun, et cela à tour de rôle. Dans sa définition sociale, la tontine est un moyen de rencontres formalisées par des cotisations mensuelles que les membres récoltent à tour de rôle selon un calendrier bien défini. Pour nous, la deuxième définition s’appliquait. En effet, nous avons constitué un premier groupe de 10 femmes, toutes d’origine africaine. Nous nous retrouvions une fois par mois dans la maison d’une des membres pour socialiser, manger, danser et lui remettre les sommes collectées auprès de chacune. Dans les faits, nous partagions nos histoires de vie. Nous découvrions les mets et les rythmes des autres régions d’Afrique tout en contribuant à une épargne collective d’un montant de 1000$ qui revenait à la personne qui recevait. Un an plus tard, des Québécoises, des Magrébines et d’autres nationalités ont rejoint la tontine. Ce qui élargissait les perspectives de développer de belles amitiés. Le chemin des possibles s’ouvrait grâce à la diversité de personnes.

Le côté social étant réglé, il me restait à faire mes preuves sur le plan professionnel.

C’est là que j’ai vécu l’intersectionnalité « jeune, femme, noire » en plus d’être de culture musulmane. « L’intersectionnalité rassemble des courants importants de la pensée féministe contemporaine qui se sont intéressés pour diverses raisons à la question de la différence liée aux effets de la race, de la classe et du genre sur les identités, les expériences et les luttes des femmes pour l’empowerment. À l’origine, ce courant de la théorie féministe a adopté l’approche du « triple péril » – de classe, de race et de genre en explorant comment l’ajout de chaque nouvelle catégorie d’inégalité rend l’individu plus vulnérable, plus marginalisé et plus subordonné[1]. »  Dans mon cas, je continue de me présenter comme une femme noire d’origine sénégalaise et de culture musulmane. Peut importe le regard de l’autre sur moi, sa perception est dans son regard, pas dans le mien. C’est lui/elle qui vit avec cette perception, pas moi.

C’est là que j’ai vécu l’intersectionnalité « jeune, femme, noire » en plus d’être de culture musulmane

Et pourtant, à mon arrivée dans la région, pour me constituer un réseau professionnel hors des murs de l’université, je me suis impliquée au Centre de solidarité internationale du Saguenay – Lac-Saint-Jean comme administratrice. Évidemment, étant professeure de coopération internationale, faire partie du Conseil d’administration de la seule organisation régionale œuvrant dans le domaine était une évidence. Cet engagement m’a permis d’alimenter mon service à la collectivité tout en développement de beaux projets de recherche-intervention avec les partenaires d’ici et d’ailleurs. Ensuite, j’ai été accueillie par les collègues du Cégep de Jonquière avec qui j’ai pu explorer d’autres horizons. Je me suis impliquée dans le Collectif Coexister au Saguenay – Lac-Saint-Jean et l’organisme Devenir Présent. Ces deux initiatives m’ont aussi permis de me déployer dans le milieu communautaire notamment en ce qui a trait à la promotion du vivre-ensemble. J’ai aussi fait partie du Conseil d’établissement de l’école de mes enfants. Là, j’ai développé des relations avec le milieu scolaire régional. Toutes ces implications me permettent de garder un pied sur le territoire et de réaliser des projets collaboratifs structurants. Je suis heureuse de pouvoir compter sur ces réseaux et, du coup, de me sentir ancrée et utile.

Comme personne issue de l’immigration, réussir sa vie sociale et professionnelle dans une région comme le Saguenay – Lac-Saint-Jean est parfois un long chemin parsemé d’embûches. Il faut avoir de l’audace et de la détermination ; mais aussi et surtout, une bonne connaissance des organisations régionales et des codes pas toujours aisés à saisir.  Je ne peux pas dire que c’est facile pour tout le monde. Je connais des personnes compétentes qui n’ont jamais réussi à avoir un emploi qualifié dans leur domaine. Si elles réussissent à décrocher « le sésame », le défi de l’intégration est parfois insurmontable. Qu’on l’accepte ou pas, il y a des chasses-gardées. J’ai entendu des histoires épouvantables de rejet de personnes immigrantes dans certains secteurs, certaines organisations, certaines institutions, certains groupes d’amis….Dans une région où les réseaux sont d’abord familiaux, le « tricoté serré » est une réalité bien présente. Le mode de vie donne priorité en semaine au 9 à 5. Le 5 à 9 et les fins de semaines étant réservés à la famille et aux ami.e.s proches. Venant du Sénégal, le pays où l’étranger est toujours bien accueilli et mis à l’aise peu importe ses origines et les motifs de son voyage, l’hospitalité, la solidarité, l’ouverture, l’empathie, le partage et le respect sont des valeurs essentielles. C’est ce qu’on appelle la Téranga qui se manifeste dans l’attitude, la manière de se comporter et d’être courtois avec l’étranger, le visiteur, le touriste. La Téranga sénégalaise m’habite au quotidien. Une de mes connaissances me disait : «J’ai déjà du mal à recevoir mes propres frères et sœurs. Nous nous rencontrons chez mes parents à des dates fixes, planifiées longtemps d’avance. Comment pourrai-je inviter des nouveaux arrivants avec mon agenda contraint ?» Je lui ai dit « Tu devrais lire sur la Téranga sénégalaise». Rien de plus.

La Téranga sénégalaise m’habite au quotidien

Évidemment, tout comme Anastasie et Salmata, j’ai dû m’adapter aux défis sociaux intrinsèques à la région. L’idée du triple péril comme femmes issues de la diversité, comme personnes non pas en colère mais qui s’affirment envers et contre tout… des universitaires qui se mettent en situation vulnérable, en position créatrice à partir du questionnement parfois naïf, est pour nous un terreau fertile à la réflexion sur nous et sur les autres.



Maintenant, Anastasie.

Je m’appelle Anastasie. Je suis une ancienne professeure d’éducation physique d’origine camerounaise qui a choisi le Québec comme terre d’adoption. Arrivée au Québec en 1994 comme étudiante à l’Université Laval où j’ai réalisé mes études de maîtrise et de doctorat (PhD) en Administration et politiques scolaires. J’ai également fait mes classes comme auxiliaire d’enseignement, assistante de recherche, chargée de cours et professionnelle de recherche dans cette institution. Depuis 2012, je suis professeure en administration scolaire au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). J’interviens au programme de deuxième cycle du DESS en administration scolaire ainsi que dans l’ensemble des programmes de premier cycle de la formation à l’enseignement. J’assume actuellement la direction intérimaire du programme de Maîtrise en éducation.

Anastasie Amboulé-Abath, d’origine Camerounaise, arrivée au Québec en 1994 et au Saguenay en 2012

Actuellement, je mène des recherches à différents niveaux sur les aspects sociaux de l’éducation. Mes travaux de recherche s’attachent à comprendre la problématique des inégalités scolaires et sociales dans l’éducation et les disparités flagrantes qui y sont observées. Dans les faits, toutes mes expériences de recherche et préoccupations traduisent le souci qui m’habite profondément, celui d’être une chercheuse universitaire connectée à la réalité sociale des groupes vulnérables et marginalisées dans nos sociétés.

Mon insertion professionnelle

Il est surprenant de constater l’absence d’un dispositif formel d’accueil et d’accompagnement des nouveaux professeurs issus de la diversité ethnoculturelle dans une institution universitaire en région éloignée comme l’UQAC. Il y a une multitude d’obstacles à l’insertion professionnelle des professeurs venus d’ailleurs à différents niveaux (institutionnel, familial, relationnel, culturel…).

Mon insertion professionnelle a été grandement facilitée par mes collègues du Département des sciences de l’éducation et je les en remercie vivement. Mon affiliation à de nombreux groupes de recherche et autres associations scientifiques interuniversitaires a également contribué à ma socialisation professionnelle. Mon réseau social est composé autant par des personnes de la culture québécoise saguenéenne que des personnes de culture africaine. Un bel entourage social et professionnel permet de passer rapidement à travers les difficultés d’adaptation sociale et institutionnelle, la solitude et autres inquiétudes. Avec mes amies africaines, nous partageons notre culture avec de bonnes amies québécoises et d’ailleurs, ces amitiés sont nécessaires pour une intégration réussie.

Avec mes amies africaines, nous partageons notre culture avec de bonnes amies québécoises et d’ailleurs, ces amitiés sont nécessaires pour une intégration réussie.

Être prof, femme et Noire à l’UQAC

Ceci dit, comme professeure et femme Noire en début de carrière, mes capacités professionnelles ont souvent été « testées », contestées voire sous-estimées par certains étudiants qui se donnaient le luxe de me poser des questions « pièges » sur la matière enseignée; contestaient mes décisions d’évaluation… Eh oui! Je dois constamment faire mes preuves pour prouver que je suis compétente et j’ai souvent eu le sentiment de devoir travailler deux fois plus que les autres pour mériter la même place.

Ces défis constants me rendent encore plus forte mais quelquefois ébranlent la consolidation de mon sentiment d’appartenance à la société québécoise et/ou à la communauté universitaire.

En acceptant le poste de professeure, comme femme Noire, j’étais consciente que de nombreux défis m’attendaient. Mais, plus que d’en être consciente, j’avais confiance en mes capacités de les relever au regard de mes adaptations réussies antérieures. J’étais enthousiaste à entreprendre une carrière universitaire. Enthousiasme qui m’habite encore aujourd’hui à poursuivre mes engagements avec optimisme et courage.

Des irritants qui perdurent

Il y a quand même des choses qui continuent de me rendre mal à l’aise avec le temps. Ainsi, je peux facilement comprendre que mes voisins me posent la question : « Es-tu bien ici CHEZ NOUS ? »; qu’ils aient de la difficulté à accepter que j’enseigne à l’université; qu’ils me posent la question « Vas-tu rentrer CHEZ VOUS? »; que dans un magasin de vêtements, parfois, les vendeuses m’ignorent totalement; que, chez le concessionnaire, on se désintéresse de mes choix et de ma présence, vraisemblablement à cause de la couleur de ma peau… Cependant, quand j’entends certains collègues dire « Anastasie comment ça se passe CHEZ VOUS ? », « Est-ce que ça fait longtemps que tu n’es pas allée dans ton pays ? », croyez-moi, c’est vraiment décourageant. Vraiment décourageant de se faire rappeler constamment qu’on n’est pas d’ici, qu’on ne fait pas partie de la gang et qu’on vient d’ailleurs, même après 25 ans de vie au Québec. Pire encore lorsque j’entends dire : « Pauvre toi ! Ça doit être plus difficile pour toi avec les étudiants… »

NON, chers collègues! Je ne suis pas à plaindre, je sais me défendre quand mes droits sont bafoués.

Mais OUI ! Sur le campus, je me fais encore bien souvent aborder comme étudiante et plusieurs personnes restent surprises d’apprendre que je suis prof ! C’est aussi très « amusant » lorsqu’en compagnie d’une collègue sur le campus, certains profs que j’ai déjà rencontrés restent indifférents à ma présence… Ah ! Le fait d’être ignorée… : malaise !

NON, chers collègues! Je ne suis pas à plaindre, je sais me défendre quand mes droits sont bafoués.

Rêve d’avenir

Face à cette indifférence, je tiens à réaffirmer que je me considère comme professeure d’université et actrice à part entière qui contribue à ma façon à l’édification de la société québécoise à laquelle j’appartiens. Je paye mes impôts et taxes comme tout bon citoyen.

Je suis très fière de mon parcours professionnel et je rêve de continuer mon développement professionnel et social. Faire partie du corps professoral de l’UQAC et mener à bien les projets de recherche débutés dans ma région d’accueil m’offrent l’agréable occasion de prendre ma place. J’émets le vœu de voir un peu plus chaque jour la réalisation de ce beau rêve.


[1] Kathy Davis. 2015. L’intersectionnalité, un mot à la mode. Ce qui fait le succès d’une théorie féministe. Dans Intersectionnalité et colonialité. Traduction de : “Intersectionality as Buzzword. A Sociology of Science Perspective on What Makes a Feminist Theory Succeesful”, Feminist Theory, vol. 9 (1), p. 67-85.https://doi.org/10.4000/cedref.827 

[*] Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) – Cultures et identités intersectionnelles –Formation en ligne. Source : http://www.rqcalacs.qc.ca/administration/ckeditor/ckfinder/userfiles/files/Boite%20a%20outils%20intersectionnalite/Chapitre%203/3-5%20Anim%20Culture%20Identites%20intersectionnelles.pdf



Et finalement Salmata.

Je m’appelle Salmata Ouedraogo, la princesse de Dolbeau Mistassini ou la princesse du Désert ! Je me définis comme une femme en quête perpétuelle de liberté.

Princesse Yennenga, princesse mythique du Burkina Faso et mère d’un garçon: Ouédraogo.

Je suis professeure d’économie au Département des sciences économiques et administratives (DSEA) à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) depuis août 2008. J’ai déjà occupé le poste de directrice du recrutement et de la mobilité internationale au Bureau de l’international et aussi le poste de direction du programme de maîtrise en Gestion des organisations. Je suis actuellement la directrice du programme de maîtrise en Gestion de projet et la responsable académique des programmes délocalisés de l’UQAC au Sénégal.

Je suis professeure d’économie depuis août 2008

Originaire du Burkina Faso où j’ai fait toutes mes études jusqu’à la maîtrise en économie de l’environnement, je suis arrivée à Montréal pour mes études doctorales (PhD) en économie appliquée au programme conjoint de doctorat qui réunit les quatre grandes universités montréalaises : l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal (HEC), l’Université McGill et l’Université du Québec à Montréal. Par ailleurs, mes premiers pas dans l’enseignement supérieur comme chargée de cours et assistante de recherche ont été réalisés durant ces études doctorales.

J’ai été recrutée à la fin de mon doctorat en économie appliquée.

J’ai été recrutée à l’UQAC à la fin de mon doctorat en économie appliquée. Ce fut la réalisation d’un rêve et d’une passion : « être professeure d’université ». Cela fait ainsi 13 ans que je vis au Saguenay.

Ce qui m’a motivé à me lancer dans l’enseignement et la recherche ….

Pourquoi ce rêve ? Tout d’abord, je pense que l’envie de partager mes connaissances et d’apprendre vient de mon éducation familiale. Mais pour moi, aujourd’hui, enseigner et mener des recherches, en particulier dans le champ des sciences humaines et sociales, c’est aussi s’intéresser au monde qui nous entoure ; contribuer à sa compréhension, en questionnant les problèmes auxquels nous faisons face et surtout proposer des outils d’aide à la prise de décision au service de l’intérêt général.

L’enseignement a toujours été le pivot de mes centres d’intérêt. C’est une activité que j’affectionne beaucoup et pour laquelle je me consacre à temps plein à l’UQAC. Enseigner l’économie dans un Département de sciences économiques et administratives est une tâche exigeante puisque la majorité des étudiants trouvent l’économie coriace, aride et inutile. C’est pourquoi je me suis fixée comme objectif pédagogique principal de vulgariser l’économie dans tous mes cours, de montrer aux étudiants que l’économie, ce n’est pas que des chiffres et qu’elle est bien utile pour la compréhension des nombreuses réalités sociales, qui sont si complexes. Ma philosophie éducative est d’enseigner les sciences économiques autrement et de voir toujours au-delà des chiffres pour y découvrir les Humains !

Ma philosophie éducative est de voir toujours au-delà des chiffres pour y découvrir les Humains !

Je me définis donc comme une économiste avec un champ de recherche large. Ma spécialisation dans la microéconomie appliquée m’a permis de m’intéresser aux problématiques de développement, telles que la pauvreté multidimensionnelle et la justice sociale, le genre, la santé, l’éducation et les impacts des innovations sociales. Par conséquent, mon portfolio de recherche représente une combinaison de ces thématiques.

Mon intégration sociale et professionnelle… Quelle histoire !!!!

Plusieurs facteurs ont facilité mon intégration professionnelle dès mon arrivée à l’UQAC, en particulier le dévouement de mon directeur de département de l’époque et de certains collègues du DSEA. C’est l’élément qui a joué un rôle primordial pour mon établissement au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je me sens très bien à l’UQAC et je suis fière de faire partie de la grande famille « uqacienne » !

En revanche, les embûches furent nombreuses en ce qui attrait à mon intégration sociale dans la région en 2008. Par exemple, ma famille et moi-même avons fait face à une réticence de plusieurs propriétaires d’appartements qui ne voulaient pas louer leur appartement aux personnes noires… Aussi, je me souviendrai toujours de cet homme qui s’est exclamé en me voyant sortir de ma voiture dans une station d’essence : « vous n’êtes pas à pied vous là ! ». N’ayant rien compris, j’ai posé la question à une collègue qui m’a expliqué ce que cela signifie : « tu possèdes une belle voiture ! ». Un autre homme m’a demandé dans le stationnement de l’UQAC : « c’est l’auto de votre chum québécois ? ». Je me pose alors la question de savoir si une femme noire ne mérite pas ce type de voiture !!!!

Je vous rappelle que je suis de Dolbeau Mistassini !

Mais ce qui me met le plus hors de moi c’est lorsqu’on me demande quand est-ce que je repars chez nous. Je vous rappelle que je suis de Dolbeau Mistassini ! Je vous rappelle que je paye mes impôts comme tout le monde ! Je veux que tout le monde comprenne que je suis un maillon de la chaîne de création de valeur et de créativité pour l’UQAC et pour la région. Selon moi, j’ai des choses à partager avec les autres québécois ; et mon rêve, c’est une société québécoise ouverte à la diversité et acceptant les « autres gens » comme ils sont car nous sommes tous des Humains.