Je suis prof et, Social

Pourquoi nager

Catherine Laprise, professeure de génétique au Département des sciences fondamentales

Nager, se propulser dans l’eau par sa propre énergie corporelle, est une expérience prodigieuse, un mélange de complétude et d’isolement. Une fois la tête dans l’eau, on est en symbiose avec la nature, mais complètement détaché du reste du monde.  La natation est un sport qui libère le corps de toute tension physique et procure des moments de pleine conscience de soi. Du plus loin que je puisse me souvenir, l’eau est un élément que j’affectionne particulièrement, que ce soit de façon contemplative, pour m’émouvoir, ou de façon pratique, pour m’y mouvoir.

C’est à la demande du professeur Jacques Cherblanc que j’ai écrit ce texte. Si l’exercice m’a d’abord paru superflu et inintéressant pour vous, la réflexion sur le sujet m’a permis de faire une introspection, d’apprendre davantage sur la natation et de prendre conscience de tous ses bienfaits sur moi. Peut-être permettra-t-elle de convaincre certaines personnes parmi vous de s’y mettre ou de s’y remettre !

Il est intéressant de savoir que l’humain savait probablement nager dès la période préhistorique, puisque les premiers indices provenant principalement d’Égypte et de Grèce datent d’environ 4 500 ans avant Jésus Christ, bien que les uniques bases de cette hypothèse reposent sur quelques hiéroglyphes ou vestiges de fresques symbolisant le concept1. Les premiers documents concernant la natation proviennent de Grèce, d’Égypte, d’Assyrie et de Rome. D’ailleurs, on y apprend que l’on enseignait la natation aux citoyens romains dès l’enfance.

La natation fait sa première apparition aux jeux olympiques d’été en 1896 et sera d’abord réservée aux hommes1. Cette discipline rencontre des problèmes et des obstacles de plusieurs natures durant son histoire. En plus de combattre, à l’instar de plusieurs autres sports, le problème du dopage, elle doit également faire face à l’ordre moral.  La tenue des nageuses est jugée indécente par plusieurs, notamment pendant les premières décennies du 20e siècle. Elle fait même l’objet d’une enquête. C’est seulement en 1930, dans un rapport portant sur la censure locale en France de Paul Ariès (politologue français) que l’on déclare que « les nageuses paraissent suffisamment vêtues pour que leurs exercices ne portent aucune atteinte à la morale publique » (1994 ; p. 87)2.

La natation a évolué dans le temps et se pratique en piscine ou en eau libre de diverses manières, incluant la nage de plaisance, de compétition, la nage synchronisée et le sauvetage… La technique des divers styles (crawl, brasse, dos crawlé et papillon) a constamment évolué considérant la position dans l’eau et la qualité des mouvements en adéquation avec les connaissances relatives à la relation amplitudes et mouvements. Les accessoires dont le pull-buoy, les palettes, les élastiques, les palmes sont autant d’outils disponibles à la pratique de la natation pour parfaire sa technique et optimiser sa performance. Puis, comme pour les autres sports les objectifs seront distincts pour chaque individu en fonction de ses aptitudes (physiologiques et physiques; vitesse versus endurance) et de ses motivations (notamment se mettre en forme, se fixer un défi, partager des moments en groupe [bien que ça puisse paraitre particulier pour un sport qui semble individuel], sous recommandation médicale pour des blessures).

Ce qui est intéressant dans cette discipline, c’est qu’elle est accessible à peu de frais.  Avec la marche et la course, la natation est l’une des activités physiques les moins onéreuses et donc parmi les plus démocratiques. N’importe quel jeune sous surveillance peut en commencer la pratique. Des gens atteints de handicap physique, dans certaines limites j’en conviens, peuvent également en bénéficier et améliorer leur condition cardiorespiratoire. La natation peut se pratiquer sur toute la trajectoire de vie pour un individu. Je connais des personnes qui nagent depuis plus de 60 ans de façon régulière. Ainsi, pour une santé durable dans une communauté, on devrait optimiser l’accès aux infrastructures au meilleur tarif et développer des modèles qui permettent d’offrir un accès gratuit aux plus démunis.   

Maintenant, quel est le rôle de la natation sur le plan personnel ? Très jeune, j’ai été conduite à la piscine. Mes parents ne savaient pas nager, mais reconnaissaient les contraintes que cela représentait dans diverses situations. Il s’agissait, pour eux, d’une aptitude essentielle dans un environnement entouré d’eau. Ainsi, j’ai fait partie d’un club de compétition entre l’âge de 7 et 13 ans. Je garde de magnifiques souvenirs de ces moments passés en piscine avec des amis.es de tous âges. Cette période où la nage est devenue quotidienne m’a permis de développer plusieurs qualités dont la discipline, la capacité de prendre plaisir à faire des efforts, une résilience face aux échecs et le développement d’une stratégie pour avancer sur la base de celles-ci. Cette période m’a appris à me réjouir de la réussite des autres, à reconnaitre que nous avons des forces et aptitudes variées et que dans une équipe chacun devait être « utilisé » pour son plein potentiel.

Toutes ces qualités que l’on retrouve dans le sport quand il est pratiqué dans un environnement sain se retrouvent aussi en recherche. Pour moi, une équipe de recherche peut être comparée à une équipe sportive où chaque membre doit sentir qu’il contribue à un construit collectif. De ce fait, la stratégie de formation que je privilégie se veut structurante et inclusive. La priorité est mise sur le sentiment d’appartenance, la valorisation du travail et de l’esprit critique, en demeurant sensible aux aptitudes qui sont intimement liées au niveau de formation ainsi qu’au potentiel intrinsèque de chacun.

J’ai quitté la compétition au tournant de l’adolescence pour m’adonner au sauvetage. J’ai complété toutes les formations de Sauveteur national (piscine, plage continentale et océan) suivi de la formation pour être moniteur des volets piscine et plage. Cette portion du temps passée à l’eau a été aussi très enrichissante. Elle m’a permis de réaliser combien je trouvais valorisant tous les apprentissages et applications de ce parcours de formation. D’ailleurs, les années passés à travailler en milieu aquatique m’ont permis, en plus de payer mes études, de sauver des personnes de la noyade à plusieurs reprises, ce qui est très gratifiant. J’ai aussi donné des cours de natation à divers groupes d’âges et à des groupes particuliers comme un groupe de camionneurs qui avaient des douleurs dorsales chroniques. Selon moi, toutes ces expériences ont été profitables pour bâtir ma confiance et mes habiletés sociales. Elles m’ont permis d’être une adolescente en contact avec diverses communautés et d’être ouverte aux autres.

Par la suite, avec les études universitaires et toutes les activités pratiquées par la jeune adulte que je devenais, l’eau a perdu en intérêt dans l’ordre de mes priorités pendant plusieurs années pour diverses raisons. Je vous ferai grâce de cette portion qui n’est pas le sujet de ce texte… Puis, il y a environ 5 ans, lors d’une rencontre fortuite, Nancy Ratté, une nageuse que j’avais connue pendant mon enfance, m’a invitée à me joindre à un club de nage pour le plaisir. Je me suis laissée tenter; j’y suis allée! Sans surprise, j’ai goûté à nouveau au bien-être que ce sport m’apporte : les douleurs de tension dorsale, causées par des heures d’ordinateur, se mettent à s’apaiser et à disparaitre, et les personnes avec qui j’ai peu de choses en commun, à part ce goût pour la nage, deviennent importantes dans l’image globale de mon quotidien. La pratique d’un sport nous apprend beaucoup de choses, non seulement sur les gens et sur leurs qualités humaines, mais aussi et surtout sur nous-mêmes, en nous poussant constamment à améliorer notre technique, notre style, notre attitude ; bref, à nous améliorer pour devenir de meilleurs humains (et je sais que ça sonne un peu quétaine).

Après quelques années avec le club, j’ai été invitée et motivée par les nageurs à me joindre à eux pour un défi organisé par le Grand défi Pierre Lavoie le 24 août 2019. Celui-ci souhaitait mettre en place une nouvelle activité dans son programme d’événements qui ciblait la natation et qui pourrait mettre en valeur les paysages de notre belle région. Le défi était de nager en équipe dans la rivière Saguenay, de La Baie vers l’Anse Saint-Jean, sur une distance totalisant 60 kilomètres. Nancy a mis en place une équipe de filles venant de toute la région et j’étais de cette équipe qui comptait d’excellentes nageuses (deux nageuses ayant participé à la Traversée du Lac Saint-Jean et participant à des Ironman). Sur les 30 nageurs qui ont pris le départ, j’étais la seule sans expérience en longue distance en eau libre. Nous avons nagé de 7H du matin à 10H du soir en alternance dans une eau de 56°F et je n’ai passé aucun de mes tours! Le sentiment de glisser sur l’eau à un rythme constant qui n’avance guère plus vite qu’un lent marcheur sur la rive, et ce en pleine intensité. La sensation de ne pas avoir le contrôle, un respect face à la nature magnanime autour de soi, nager à la noirceur dans un fjord qui est habité de nombreuses espèces. J’ai adoré! Je suis arrivée à l’Anse Saint-Jean dans un état de plénitude. Il est certain que ce que l’on produit comme molécules (e.g. endorphines) dans un tel périple y contribue, mais l’effet n’est pas le même pour toutes les personnes ayant participé. À cet effet, un sondage auprès des 30 participants (tous des nageurs aguerris excepté moi) a conclu qu’une minorité referait le défi. Je suis de ceux-là.

L’été suivant, en pleine pandémie, après 6 mois sans avoir nagé, un ami (Michel Dufour) m’a invité à un entrainement soutenu pour la traversée du Lac Saint-Jean. Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai d’abord indiqué que je m’entrainerai en suivant le plan et que je verrai… À mi-parcours, durant l’été, un 15 km dans le Lac Otis a été organisé. Cette journée était venteuse et froide et j’ai réussi le 15 km dans les vagues sans difficulté. Donc, vous me voyez venir, j’ai fait la traversée en solo le 22 août 2020. Ici, je vous fais grâce de l’aventure qui a été colorée, sinon pour vous dire que je suis arrivée à Roberval sous We are the Champions de Queen accompagnée d’un bateau de plaisanciers que je ne connaissais pas. Bel imprévu! Cette journée accompagnée de mon conjoint restera gravée dans ma mémoire comme une belle expérience de vie.

Présentement, les lacs sont tous « calés », comme le dit l’expression consacrée, après une longue saison de dormance. Dans quelques jours, je me remettrai à la nage en eau libre parce que c’est zen, parce que nos décors sont majestueux, parce que nos eaux le permettent (et le permettront longtemps si nous protégeons cette ressource) et parce que mes amis.es et mon conjoint vont s’y remettre aussi…

1 https://sport-monde.fr/la-natation-un-sport-complet/

2 https://www.persee.fr/doc/1895_0769-0959_1994_num_16_1_1078