Opinion

Le legs de la rectrice Bouchard

Stéphane Allaire, DSÉ

À l’UQAC, on a assisté ces dernières années à l’intensification d’une tendance lourde qui concerne l’ensemble du monde universitaire : la concentration de la prise de décisions. Un premier signe avant-coureur de cette accentuation dans le dernier mandat rectoral s’est révélé par le changement de dénomination de la « régie de la rectrice » pour le « comité de direction »; une appellation bien plus fortement connotée en matière de gouvernance centralisée. Il en a suivi l’accumulation d’une série de pratiques et de décisions de cet ordre, dont on ne refera pas la nomenclature.

De toute évidence, une université n’est pas une entreprise. Elle ne peut pas non plus être administrée selon le principe classique de gestion descendante. Le point de rupture atteint en décembre dernier montre bien le potentiel d’implosion qui peut découler de l’obstination à vouloir faire entrer un éléphant dans un réfrigérateur. Parmi les motifs expliquant qu’il soit impératif de maintenir une gestion collégiale au sein des universités, il y a la pertinence de composer avec une variété de niveaux d’objectifs. Cette nécessité est davantage au cœur du fonctionnement d’une université que de toute autre forme d’organisation.

Similairement à d’autres types d’organisations, une université poursuit un but ultime fédérateur de l’ensemble de son personnel. Dans son cas, bien sûr, la formation d’étudiants. C’est aussi vrai pour la majorité de la recherche qui y est menée. La célébration de cette réussite collective culmine annuellement – exception faite d’une pandémie – avec la traditionnelle collation des grades.

Si la vie d’une université se résumait à cela, une gestion descendante de type « employeur – employé » pourrait plus facilement être envisageable, bien que pas nécessairement plus souhaitable. Pour reprendre un jargon managérial à la mode, des analyses stratégiques seraient effectuées en haut lieu, desquelles découleraient des orientations tactiques par une strate intermédiaire, puis des gestes opérationnels par la base. Mais la réalité universitaire est plus complexe que le culte du bon petit soldat et ressemble davantage à un réseau qu’à une pyramide ou un champ de bataille.

Au but fédérateur ultime, il faut aussi adjoindre, notamment, des objectifs propres aux départements et aux programmes de formation. Ces objectifs, bien qu’ils concourent au but collectif, ont aussi leur réalité et caractéristiques intrinsèques, qui se distinguent de ceux d’autres départements et programmes. À un niveau plus microscopique, chaque professeur poursuit aussi un autre niveau d’objectifs. Celui-là est lié entre autres à sa contribution particulière à un programme de formation, à la vie départementale et à la distinction de l’expérience en recherche qu’il ou son équipe souhaite offrir aux étudiants-chercheurs.

On pourrait détailler bien d’autres niveaux d’objectifs que ceux-là. L’intention ici n’est pas d’être exhaustif mais plutôt de mettre en relief qu’ils font partie de l’essence d’une université. Ils incarnent la diversité de pensée, d’action et de réflexion qui caractérisent historiquement cette institution.

L’arrimage de ces niveaux d’objectifs n’est pas une mince affaire, en particulier dans un contexte où les ressources sont limitées, et les regards pluriels, sinon parfois incompatibles. Si la diversité est souhaitable, il faut aussi admettre qu’elle a un prix et qu’on n’y navigue pas toujours comme sur un long fleuve tranquille. Elle crée nécessairement des rapports de force, des tensions qui résultent de la façon de voir les situations de façons différentes. Les consensus sont plus faciles à dégager à partir de la pensée unique que de pensées riches. Cette richesse est saine. Elle est surtout au cœur du fonctionnement d’une université, lieu de frottement et d’approfondissement des idées.

Un constat étonnant réside dans cette tendance de plus en plus naturelle à l’effet que l’arbitrage de certaines idées doive nécessairement être fait par quelques gestionnaires, alors que des instances délibératives sont pourtant en place pour en débattre et en disposer de façon démocratique. N’est-ce pas dans ces espaces de dialogue collégiaux – si tant est qu’on les exploite convenablement – que les orientations de fond de notre université doivent être prises? Bien sûr, tout le monde ne peut en sortir pleinement satisfait car il faut parfois trancher. Mais c’est un moindre mal lorsqu’on a permis à la diversité collégiale de s’exprimer et que la majorité a pu faire un choix éclairé. C’est en fait une simple implication de la collégialité.

Ces dernières années nous aurons appris, je l’espère, à faire preuve d’une sensibilité accrue à l’érosion du pouvoir de la collégialité. Pour différentes raisons, notre réaction formelle s’est parfois faite en différé alors que les événements s’accumulaient pourtant. Au bilan, et malgré les erreurs de parcours qui ont été reprochées à la rectrice Bouchard, elle aura réussi à provoquer un rassemblement des professeures et des professeurs comme rarement auparavant. Comme quoi le contre-exemple peut être une stratégie d’apprentissage collective féconde. Il reste maintenant à souhaiter que cette mobilisation pour le développement diversifié de notre université se poursuive, et qu’on se réapproprie pleinement, et le plus tôt possible, les lieux collégiaux autres que notre syndicat.