Opinion

La réforme du calendrier universitaire : désinformation, manipulation et conservatisme institutionnel

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Michel Roche, professeur de Science politique au Département des sciences humaines et sociales

La direction de l’UQAC, par l’entremise du vice-recteur aux Études Étienne Hébert, a décidé qu’aucune démarche ne serait entreprise pour modifier le calendrier universitaire. Cette décision, qui écarte du revers de la main tout ce qui a été entrepris jusqu’à maintenant, apparaît à mes yeux comme un geste autoritaire qui semble démontrer qu’en dépit d’un changement de personnel dans les hautes instances de notre institution, aucune leçon n’a été tirée des dernières années alors qu’un recteur puis une rectrice ont été contraints de quitter leur poste du fait de l’insatisfaction à l’égard des méthodes d’exercice du pouvoir. Je vais donc rappeler les faits.

Le 12 novembre 2021, je publiais un article dans le journal Correspondance en vue de susciter un débat concernant le calendrier universitaire de l’UQAC, caractérisé par des sessions de 16 semaines avec des cours de 2 heures 45 minutes, ce qui tranche avec la situation vécue par la majorité des étudiants et étudiantes du Québec dont les trimestres s’étalent sur 15 semaines avec des cours de 3 heures, semaine de relâche (ou de lecture) comprise. Quelques semaines plus tard, l’assemblée générale du Syndicat des professeures et professeurs de l’UQAC (SPPUQAC) acceptait la formation d’un comité pour se pencher précisément sur cette question. Le comité a discuté des avantages et inconvénients du projet et a élaboré un questionnaire pour sonder le corps professoral. L’assemblée syndicale en a été informée le 26 janvier 2022.

Le 27 avril 2022, le comité remettait à l’assemblée générale du SPPUQAC son rapport sur la consultation menée auprès des membres. Avec un taux de participation de 60%, les professeurs et professeures se sont prononcés à plus de 81% en faveur de la réforme proposée. La majorité a été obtenue dans chacun des départements. Le questionnaire permettait à tous et à toutes d’exprimer leurs commentaires, qu’ils soient favorables ou défavorables. Rappelons que le comité s’est toujours soucié des objections soulevées. C’est pourquoi la proposition fait preuve de la plus grande souplesse. Les 15 semaines deviendraient la norme, mais cela n’empêcherait aucunement les programmes soumis à des exigences particulières d’y déroger, comme c’est le cas dans les autres universités.

La résolution suivante (Résolution AG-2022-03-2 Réforme du calendrier universitaire) a donc été adoptée :

ATTENDU le rapport déposé par le Comité de réflexion sur le renouvellement du calendrier universitaire ;
ATTENDU que la majorité du réseau universitaire québécois offre des trimestres de quinze (15) semaines, incluant la semaine de relâche ;
ATTENDU l’appui favorable à une telle réforme exprimé par une majorité significative de membres dans chacun des départements de l’UQAC, dans le contexte du sondage mené par le comité de réflexion ;
ATTENDU les avantages identifiés dans le rapport, en particulier, mais non exclusivement, ceux touchant les possibilités d’emploi des étudiant·e·s, la recherche et l’équilibre plus harmonieux entre les semaines précédant et suivant la relâche ;
ATTENDU les possibilités identifiées dans le rapport de remédier aux inconvénients qui préoccupent les membres dans le sondage ;
ATTENDU la possibilité de maintenir quatre plages horaires par jour entre 8 h et 22 h, tout en laissant assez de temps pour les travaux pratiques, tel que détaillé dans le rapport du comité ;

IL EST PROPOSÉ par M. Luc Baronian et appuyé par M. Michel Roche de mandater le SPPUQAC de faire des représentations auprès du SCCCUQAC et du MAGE-UQAC, afin de déposer une demande conjointe à l’administration de l’UQAC d’adopter un calendrier trimestriel de 15 semaines, incluant une semaine de relâche, comportant des cours de trois heures. Le vote est demandé, dont le résultat est 71 % pour, 16 % contre et 13 % d’abstentions. La résolution est adoptée à la majorité.

Cet exercice a été éminemment démocratique. On ne peut malheureusement pas en dire autant de ce qui suit.

La volte-face du SCCCUQAC

En conformité avec la résolution du SPPUQAC, Luc Baronian, secrétaire du syndicat, et moi-même à titre d’initiateur du projet avons rencontré les membres de l’exécutif du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi (SCCCUQAC) le 8 juin 2022 pour leur faire part de nos démarches et leur demander de prendre position. Vers la fin de l’été, l’exécutif a consulté ses membres au moyen d’un sondage semblable au nôtre et doté d’un argumentaire comprenant à la fois les avantages et les inconvénients liés à la réforme du calendrier. La question posée était : « Approuvez-vous le principe d’une réforme du calendrier universitaire sur la base de trimestres de 15 semaines (incluant la relâche) avec des cours de 3 heures (incluant les pauses) ? » Sans surprise, les résultats étaient positifs : des 198 chargé.e.s de cours ayant participé à la consultation, 90 étaient « tout à fait d’accord » avec le projet et 50 « plutôt d’accord », pour un total de 70,7%. Seulement 24 ont affirmé n’être « pas vraiment d’accord » et 21 « pas du tout d’accord », pour un taux de désapprobation de 22,73%. Le reste est constitué d’opinions neutres. En somme, les résultats sont assez similaires à ceux obtenus du côté des profs. Ils nous ont été livrés le 13 septembre 2022.

C’est ainsi que le 11 octobre suivant, Luc Baronian, Christian Roy (président du SCCCUQAC) et moi-même sommes allés rencontrer Alexis Diard et Emma Stintzi, respectivement président et coordonnatrice aux Affaires institutionnelles du MAGE-UQAC. Il ne manquait plus que l’appui de l’organisation étudiante pour demander une rencontre avec le recteur. Ce dernier nous a donné rendez-vous le 14 mars, en après-midi. Mais, coup de théâtre, le matin même de ce 14 mars, nous apprenions que la veille (le 13), dans le cadre d’une assemblée tenue en présentiel, le SCCCUQAC avait décidé « à l’unanimité » de ne plus appuyer le projet. Ce faisant, il ne participerait à la rencontre que pour expliquer à la direction de l’université les raisons de leur opposition à une réforme du calendrier. D’après le président du syndicat lui-même, environ 25 personnes étaient présentes à l’assemblée. Un chiffre à mettre en relation avec les 198 chargé.e.s de cours qui ont fait connaître leur position à travers le sondage. Certes, leurs statuts accordent la pleine souveraineté à l’assemblée générale. De ce point de vue, la décision était légale. Mais était-elle légitime pour autant ? Que dirions-nous d’une démarche impliquant une consultation au cours de laquelle la population dirait OUI (ou NON) à un projet quelconque alors que le Parlement – souverain dans le système britannique en vigueur chez nous – irait dans la direction opposée ?

Par ailleurs, l’exécutif du SCCCUQAC a bénéficié de plusieurs mois entre la consultation de septembre et la rencontre avec le recteur pour adopter une résolution comme le SPPUQAC lui-même l’a fait dans les semaines qui ont suivi la publication de notre rapport. Comme par hasard, cette assemblée a eu lieu à moins de 24 heures de la rencontre. Il s’agit là d’un geste qui a toutes les apparences d’une manœuvre de bas étage, d’un coup de force, au détriment de la majorité des membres du SCCCUQAC. Il sera facile, ensuite, de dire que les personnes absentes à l’assemblée syndicale n’avaient qu’à y participer. Mais dans ce cas, pourquoi avoir pris la peine de réaliser un sondage – démarche tout de même assez exigeante – pour connaître l’opinion des membres ? Aurait-on été contrariés par des résultats positifs inattendus ?

Sur l’attitude de l’Exécutif du MAGE-UQAC

Du côté du MAGE-UQAC, il faut avouer que le projet n’a pas été accueilli avec le plus grand enthousiasme, du moins en ce qui concerne les deux seules personnes rencontrées, Alexis Diard et Emma Stintzi. Cette attitude m’apparaissait d’autant plus surprenante que le MAGE-UQAC lui-même avait souhaité une réforme de ce genre il y a quelques années. Elle avait été finalement rejetée puisque l’administration de l’époque exigeait l’abolition de la semaine de relâche. Mon étonnement provient aussi du fait qu’à chaque fois que j’ai sondé mes propres étudiant·e·s sur le sujet, leurs réactions étaient tout à fait favorables. Je me suis donc interrogé sur les raisons pour lesquelles le MAGE-UQAC a rejeté le projet et procédé à une petite enquête.

D’abord, en dépit de notre insistance, l’exécutif de l’organisation n’a jamais accepté que l’un d’entre nous explique à leur assemblée générale les tenants et aboutissants du projet. Il était dès lors assez facile de deviner qu’il serait présenté par des personnes qui n’y étaient pas favorables. Des témoins de l’assemblée où le sujet a été abordé m’ont fait savoir qu’il avait effectivement été annoncé d’une manière plutôt négative et qu’une grande partie de la présentation/discussion avait porté sur le très insurmontable problème de renégocier les horaires d’autobus avec la STS…

La MAGE a néanmoins procédé à un sondage auprès de ses membres. Approximativement 850 étudiants sur 6300 y auraient participé. Il comportait une question sur le déplacement de la semaine de relâche de l’automne et une autre sur un calendrier de 15 semaines avec des cours de 3 heures. Mais cette question a été soumise sans le moindre argumentaire, sans la moindre mise en perspective, sans la moindre raison justifiant l’existence de la proposition. Autrement dit, cela s’est fait sans débat élargi parmi la communauté étudiante. Si la démocratie implique au préalable un électorat informé, force est d’admettre que l’exécutif du MAGE-UQAC ne tenait pas particulièrement à ce que ce principe élémentaire soit pleinement respecté. Mais en dépit de ces manœuvres, à peine 50% et des poussières ont répondu par la négative à une réforme du calendrier. Nous n’avons cependant appris cela qu’au moment de la rencontre avec le recteur et le vice-recteur.

La réaction un peu trop rapide de la direction de l’UQAC

C’est donc avec l’opposition du SCCCUQAC dont nous n’étions au courant que depuis quelques heures et de celle du MAGE-UQAC qui ne nous a été révélée qu’au moment même de la rencontre du 14 mars 2023 avec le recteur et le vice-recteur que nous avons participé à ce qui devait être une demande de l’ensemble des représentants de l’enseignement et des associations étudiantes. Autre fait à noter : l’absence inacceptable du président du SPPUQAC, Gilles Imbeau. Ce dernier nous avait pourtant assuré, en pleine assemblée générale, qu’à titre de président du SPPUQAC, il serait présent à la rencontre. Un président de syndicat digne de ce nom se doit de représenter l’opinion majoritaire de ses membres. Nullement offusqué par le rejet du projet, il a déclaré à Radio-Canada que le dossier n’est plus une priorité puisqu’au mois de mai des négociations débuteront pour le renouvellement de la convention collective.

L’opposition du MAGE-UQAC était justifiée par l’idée voulant qu’un ajout de 15 minutes aux cours serait trop difficile à supporter à cause de la fatigue et d’un déficit d’attention accru. En somme, ce serait anti-pédagogique. Alexis Diard a d’ailleurs déclaré ceci à Radio-Canada :

« Actuellement, personne ne peut me regarder dans les yeux et me dire que rajouter 15 minutes de cours dans un cours de deux heures et 45 minutes qui est déjà long et qu’au bout de deux heures tout le monde a envie de passer à autre chose que c’est pédagogiquement viable. Donc, il y a beaucoup de contenu pédagogique qu’on va perdre et on va continuer nos frais de scolarité excessivement chers, donc ça ne fait aucun sens en terme pédagogique. »

Aucun sens ? Je n’ai encore jamais entendu quelqu’un affirmer que l’Université de Montréal, l’Université Laval, l’UQAM, l’Université de Sherbrooke ou l’Université d’Ottawa affichaient des résultats plus mauvais que l’UQAC. La vaste majorité des étudiant·e·s du Québec suivent des cours de trois heures. Par ailleurs, la réforme aurait permis d’accorder une pause de 20 minutes ou deux pauses de 10 minutes sans réduire le temps d’enseignement, ce qui aurait largement compensé pour ce monstrueux quart d’heure supplémentaire.

Il fallait donc, de notre côté, trouver le moyen de ne pas rendre inutiles toutes les démarches entreprises jusque-là. C’est ainsi que j’ai proposé au recteur et au vice-recteur de former un comité où seraient représentés les profs, les chargé.e.s de cours, les étudiant·e·s et l’administration de l’université pour prendre le temps de réfléchir collectivement aux avantages et inconvénients de la réforme proposée, ou même d’en formuler une nouvelle pour régler ce qui ne va pas avec l’actuel calendrier. Le recteur a alors décidé que, bien qu’ouvert à cette idée, il attendait d’abord de connaître la décision définitive du MAGE-UQAC. Elle a évidemment été négative et tout cela s’est terminé avec l’envoi du message suivant par le vice-recteur Étienne Hébert :

« Lors du Conseil Central du 29/03/2023, les représentant.e.s étudiant.e.s ont longuement échangé et débattu du projet, aux regards de l’analyse quantitative et qualitative du sondage réalisé auprès de 850 membres de la communauté estudiantine. Le conseil a pris une position visant à s’opposer à toute modification du calendrier universitaire, excepté pour la semaine de relâche d’automne, de ce fait, nous n’irons pas de l’avant dans de futures démarches concernant ce projet. »

Étrangement, pendant la réunion, le vice-recteur Hébert insistait beaucoup sur son idée que la décision devait se prendre sur des bases pédagogiques seulement. Or, l’enjeu du projet consistait justement à déterminer si l’inconvénient pédagogique était compensé par des avantages indiscutables dont une harmonisation avec la majorité québécoise, une semaine de relâche plus équilibrée à la session d’automne, un accueil plus harmonieux des étudiant·e·s étrangers, une rémunération accrue des étudiants en été grâce aux deux semaines supplémentaires, etc. Il semblait ainsi, d’entrée de jeu, fermer la porte au projet et son argumentaire, pure coïncidence j’imagine, fut repris presque textuellement par M. Diard dans les médias.

Il est triste de constater qu’un projet comportant des avantages pour tout le monde, y compris la direction elle-même, finisse ainsi dans le conservatisme le plus plat, sur fond de trahisons, de manipulations et de gestion autoritaire.


[i] La durée des trimestres universitaires crée des débats au sein de l’UQAC | Radio-Canada.ca